Quelque chose qui n’est pas encore écrit

Franz Eybl Jeune fille lisant
Variations sur un thème de Maurice Blanchot

Lire, ce serait donc, non pas écrire à nouveau le livre, mais faire que le livre s’écrive ou soit écrit. Maurice Blanchot *
L’un écrit. Pourquoi ? Pour qui ? Celui qui est dans la “fascination de l’absence de temps” adresse-t-il vraiment ces mots qui lui arrivent ? Il n’a jamais pensé à ceux qui liront et pourtant il n’a pensé qu’à eux. Si on lui pose la question : “Pourquoi écrivez-vous ?”, répond-il jamais ” Pour être lu ” ? Ridicule évidence recouverte pas ces vérités souvent gommées.

Le livre est écrit. L’analyse logique apprise à l’école remonte : le livre : sujet ; est écrit : voie passive ; sous-entendu par l’écrivain : complément d’agent. Paradoxalement, si écrire est certes un acte, le livre n’est “qu‘écrit”, comme à l’état latent, un potentiel désœuvré. Le livre est écrit : attendez, attendez, ce n’est pas fini.

C’est par l’autre acte, celui qu’accomplit le lecteur qu’il va devenir LIVRE, qu’il va prendre son sens. De la voie passive à la voie active, il va s’écrire ; dans la réalité, il va s’inscrire. L’acte du lecteur fait que le livre s’écrit. C’est l’œil de l’Autre, son intervention, qui comme le souffle de Dieu dans les Écritures (!) insuffle la vie à l’œuvre, selon l’antique légende.
L’œuvre n’appartient plus à l’écrivain si tant est qu’elle lui ait appartenu, à part le moment fugitif de la gestation. Unique instant où, illusion merveilleuse, l’on FAIT, l’on FABRIQUE, très semblable au moment où une femme sait que son enfant est à elle, en fabrication en elle.

Le livre n’appartient plus à l’écrivain : il lui reste donc, après coupure du cordon ombilical, à prendre sa vie propre, son envol, son existence que seul l’œil de l’Autre pourra lui donner.
Témoin, avec souvent l’obscur sentiment d’être un instrument, l’écrivain transmet, parfois sans savoir ce qui lui arrive. D’autres fois au contraire, Voyant, voyant pour lui et pour les autres, il voit surtout qu’on ne dit pas pour soi.

Charles Burton Barber Jeune fille au carlin, 1879

L’objet est posé là. Son existence de papier n’est rien en soi. S’il est fermé, sa matérialité n’a aucun sens. C’est une toile non vue. Une musique non entendue. Un livre qu’on ne lit pas ? Quelque chose qui n’est pas encore écrit. *

Je lis en toi à livre ouvert

* Maurice Blanchot – L’Espace littéraire – Gallimard, 1973 (Idées)

P.S. : sur le sujet, voir aussi :

D’un Jules à l’autre


ainsi que :

Une œuvre “désœuvrée”

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