La morositude m’atteint de plein fouet.
J’en connais les raisons : je n’arrive pas à rire de ce qui se passe partout. Où que l’on tourne le regard et les oreilles, la laideur s’affiche, triomphante.
Et je n’arrive pas à fermer les écoutilles : ce serait simple pourtant de se couper de tout. Je connais des personnes qui le font. D’autres s’engagent, ils sont sur le terrain. Je n’ai plus la force. Mais je pense qu’il faut savoir. Comprendre. Et après ? L’on se renseigne, on écoute les amis qui sont forts en géopolitique. Ils nous expliquent le déroulé de l’Histoire. Et après ?
On est sonnés par l’accumulation, depuis quelques années, de ces catastrophes, de ces horreurs, partout, partout… Et notre vigilance nous paraît si vaine ! On est interdits : comment en est-on arrivés là ? Certains visages nous inspirent du dégoût, de la honte et même – surtout ? – de la peur. La folie est si évidente.
Essoufflement de l’espoir.
On a ça dans la tête : cette douleur rageuse. Mais comme impuissante.
Et puis, il y a cette journée de neige : ce n’est rien qu’un peu de neige mais elle bouleverse le paysage. Alors que le froid est vif, elle apaise quelque chose. Peut-être est-ce le silence qui l’accompagne ?
La tourterelle enfle et se veut menaçante ; le merle la snobe. Vies d’oiseaux. Même si l’on voit qu’il y peu de tendresse dans ce monde aussi, on les remercie d’apporter à notre existence ce mouvement, cette force de vie. Ces conflits là, on les conçoit, on ne comprend pas tout – à part l’instinct de survie – mais il n’y souffle pas cette rage de détruire. Et la pinsonne ne sait pas du tout à quel point sa grâce nous enchante !
Enfin, on entend ce moment d’émotion pure. C’est le dernier film de John Huston, Gens de Dublin de James Joyce. C’est surtout la dernière des quinze nouvelles qui forment le recueil Dubliners. Elle s’intitule Le Mort ou Les Morts selon les traductions, The Dead dans la version originale. Et c’est enfin presque la dernière scène du film : une voix s’élève, elle chante une balade irlandaise The Lass of Aughrim.
Gretta (Anjelica Huston) est littéralement saisie par le souvenir et la douleur. Laissons nous emporter par ce qui est dit d’un au delà du chagrin.
Laissons nous bercer par l’apparition irrémédiablement tragique des regrets. Et revenons à l’instant présent. Il faut vivre.