L’Inconnue de la Seine qui inspirera Rilke, Supervielle, Aragon et bien d’autres… Mais c’est une autre histoire.
Après Julio Cortazar l’argentin, pourquoi pas Jules Supervielle l’urugayen ?
L’Enfant de la haute mer, dans sa rue flottante perdue dans l’océan entre les vivants et les morts, est emblématique de l’identité mouvante de Supervielle, lui qui disait la mer est mon lieu.
Vous êtes un grand constructeur de ponts dans l’espace, écrivit Rilke à Supervielle. Pont entre deux cultures – l’Uruguay et la France -, pont entre le monde d’ici et le monde de là-bas ou là-haut, ponts entre le réel et l’intangible… C’est surtout un poète qui veut retrouver, avec modestie, le lyrisme simple et doux d’un monde intérieur, sans forcément remettre en cause le langage, avec la douce et précise légèreté qu’évoquera encore son ami R. M. Rilke.
Quand nul ne la regarde,
La mer n’est plus la mer,
Elle est ce que nous sommes
Lorsque nul ne nous voit.
Elle a d’autres poissons,
D’autres vagues aussi.
C’est la mer pour la mer
Et pour ceux qui en rêvent
Comme je fais ici.
«Pour moi ce n’est qu’à force de simplicité et de transparence que je parviens à aborder mes secrets essentiels et à décanter ma poésie profonde. Tendre à ce que le surnaturel devienne naturel et coule de source (ou en ait l‘air). Faire en sorte que l’ineffable nous devienne familier tout en gardant ses racines fabuleuses. […] Je n’ai guère connu la peur de la banalité qui hante la plupart des écrivains mais bien plutôt celle de l’incompréhension et de la singularité. N’écrivant pas pour des spécialistes du mystère j’ai toujours souffert quand une personne sensible ne comprenait pas un de mes poèmes. » Jules Supervielle, En songeant à un art poétique dans Naissances.
Alors, originalité et modernité (les deux font-elles toujours la paire ?) versus l’ineffable banal avec des mots cousus à l’ancienne ? Pas besoin de choisir : on peut tout avoir.