Pedro Lemebel ne tremble pas

Pedro Lemebel Je tremble, O Matador
Pedro Lemebel Je tremble, ô Matador
Un livre superbe, remuant et poétique : Je tremble, ô Matador du chilien Pedro LEMEBEL

J’ai découvert Pedro Lemebel et son magnifique Je tremble, ô Matador grâce à une femme étonnante. Je l’aidais à écrire sa vie, étonnante elle aussi. La dame avait un don pour dénicher de beaux livres, aussi singuliers qu’elle ; elle était généreuse de ses trouvailles.
C’est ainsi que j’ai rencontré le chilien Pedro Lemebel et ses « héros », Carlos, le militant anti-Pinochet et La Folle, sublime travesti dingue d’amour pour Carlos.
Pour celui-ci, qui prépare avec son groupe un attentat contre Pinochet, La Folle va prendre tous les risques, braver la délation, garder chez elle le matériel pour le grand soir, et … qu’est ce qu’elle y pouvait, si sa vie avait toujours été illuminée par l’interdit, si sa vie était une voix de tango muselée d’impossibles ?
Parallèlement au récit de la Folle magnifique, le vieux Pinochet soliloque, ressasse des souvenirs d’enfance morbides et son homophobie tandis que sa stupide épouse lui casse les oreilles avec ses jaspinages du genre « voyage à Miami pour s’acheter des chaussures Versace en solde »… La plupart du temps, il éructe : Je hais la poésie comme je l’ai dit à ce connard de journaliste qui m’a demandé si je lisais Neruda… Vous voulez que je vous fasse un aveu ? Je hais les poèmes. Je n’aime ni en entendre ni en lire ni en écrire, rien du tout. Où est-ce qu’il est allé chercher une question aussi conne ? Pourquoi ne pas me demander si je fais de la danse classique, tant qu’on y est !
L’écriture, dans la tradition baroque des latinos-américains est sensuelle, flamboyante, elle charrie des pépites de langage mélancolico-
burlesque et surtout plein de poésie car Lemebel était avant tout un poète. Et si c’était un film, il serait d’Almodovar. 

Pedro LEMEBEL Photo Luis Navarro

Pique-nique final avant la séparation : Carlos fut à son tour accablé de tristesse et, impuissant, il saisit ses mains d’oiselle flétries et y apposa la braise de ses lèvres brunes. Comment est-ce que je pourrais te payer tout ce que tu as fait pour nous, et particulièrement pour moi ? Avec seulement quatre mots. Quels mots ? dit-il une pointe de honte tapie dans ses yeux de mâle marxiste. « Je tremble, ô matador. »  Et puis ? 

Poésie et lyrisme, humour et folie au service d’un texte sur la sexualité et le pouvoir. Chapeau bas, madame la traductrice, Alexandra Carrasco !

Yo estoy viejo
Y su utopía es para las generaciones futuras
Hay tantos niños que van a nacer
Con una alíta rota
Y yo quiero que vuelen compañero
Que su revolución
Les dé un pedazo de cielo rojo
Para que puedan volar.

Pedro Lemebel – Je tremble, ô Matador – DENOËL § D’ailleurs, 2004

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