Photos de Feggari Xouw. Merci fort.
Je l’avais déjà vu, cet âne. Son enclos donne sur une de mes plages préférées, là-bas, sur l’île. On descend quelques volées de marches pour y accéder. Elles surplombent le pré… Enfin le pré pas très herbu mais il a de la place.
On s’était déjà parlé en silence. Et instantanément, je l’appelle Balthazar. C’est un peu nunuche de prénommer les bêtes que je rencontre mais c’est instinctif. Elles incarnent et elles-mêmes et une foule de créatures, de souvenirs, de symboles. Elles existent au-delà de leur présence. Et pourtant, je ne vois que la bête. Le reste surgit après coup ou simultanément mais sur un autre écran.
Alors il y a bien sûr le Balthazar de Bresson ! (film Au hasard, Balthazar – Robert BRESSON, 1966)
J’éprouve toujours une étrange émotion quand je vois un âne. Sans doute parce que la créature la plus simple – que l’on dit têtu parce qu’il est prudent – est trop souvent soumis à de mauvais traitements. Pour moi il est toujours associé au roi mage qui porte ce nom.
Alors tout revient ! Pour ma provençale maman, la crèche de Noël était un rite sacré. Nous attendions l’arrivée des rois mages sur cette scène de nativité avec patience, elle ne les plaçait qu’au jour dit et en plus, on mangeait la galette pour l’Épiphanie. Je confondais le myrte et la myrrhe que Balthazar apporte comme présent. Ce sont des mots magiques, non ? Balthazar était le plus beau des rois lointains : grand, noir, très majestueux.
Et puis il y a un âne dans la crèche.
Moi, ça m’enchantait tout ça. J’apprendrai plus tard que le nom de Balthazar vient de l’akkadien Balat-shar-usur, littéralement « Bel, protège le roi ».
Ici, dans le tableau de MANTEGNA, décor plein de paréidolies, le troisième roi, le bel africain.
Bon, mon âne grec s’appelle Balthazar. Jamais je n’aurais pensé à l’appeler Cadichon, ce n’est pas une petite bête enrubannée. Il est trop noble. Il vient quand on l’appelle.
Ses yeux sont des puits. Ses oreilles sont en pilou ou en flanelle. Son nez et sa bouche en velours. Comment fait-il pour être noble et humble ?
Il écoute ce qu’on lui dit même si cela ne l’intéresse pas. De toutes façons, je ne lui dit que des âneries, comme ça on se comprend.
Soudain, irruption d’un souvenir : ce marocain en colère contre son âne rétif et qui lui crie : ” Avance, fils d’ânesse ! “
Que de digressions, grands dieux ? Où m’a-t-il emmenée cet âne grec ?
Pour la musique, malgré l’existence de l’âne de Jacques IBERT, une évidence : Les ânes et SCHUBERT.
Andantino de la sonate n°20 D. 959 F. SCHUBERT
Le film de Bresson, si émouvant que je ne peux pas le revoir. Si j’y arrive un jour, je sais que j’aurais grandi.
“… non pas la puissance du penser mais sa formation dans l’œil, devant le paysage, à la manière des ânes, qui ont l’air d’y penser quand ils crient.» (Jean-Christophe Bailly) – et les ânes depuis si longtemps, et heureusement pas toujours, victimes expiatoires, de quels crimes ?
Oh pareil pour moi !
Merveilleuse citation de BAILLY. Du même : « La photographie nourrit mon besoin d’étreindre le réel, ou de l’effleurer ». Ce que tu fais.
J’ai lu qu’il avait travaillé avec PLOSSU.
Quant aux ânes, je me réjouis de savoir que plus ils sont maltraités plus ils sont récalcitrants. Non mais…
Je le dis de tous les ” petits ” mais vraiment, quoi de plus beau qu’un ânon ?
Pour Plossu, je ne savais pas, merci. Les ânes ont aussi leurs caractères. Un âne écossais (ah oui, évidemment, écossais) m’a mordue : refus impératif d’une caresse sur le museau, il n’était pas habitué et j’y suis allée carrément sans prendre le temps de l’apprivoiser.
Ouh là, il paraît que les morsures d’âne sont terribles ! J’espère qu’il t’a vite lâchée.
Peut-être un âne raciste ?
Trop bien ce billet, bravo!
Pas de digressions, que des sensations d’âges, paysages et “aimantages” joyeusement partagées et lues.
Quelle belle et tendre trouvaille ce quolibet ” Avance, fils d’ânesse ! “ dans la bouche de ce Marocain probablement darwiniste, très sûrement déçu de son aide de camp qui boude les étapes souhaitées.
De plus on parle de Plossu dans les commentaires, et j’y vois aussi à suivre une image incluse, ce que je pensais plus possible. 👏
(Faut que je répare ce problème de mots tranchés dans les commentaires et autres détails de présentation.
Merci à tous de votre patience.)
Merci, camarade. C’est tellement plaisant de dérouler les doux fils du temps, de laisser l’esprit vagabonder de l’âne grec à Mantegna, de Bresson à Plossu.
Pour l’image, j’ai tenté le bête ” copié – collé ” et – à ma grande surprise – ça a marché. Malgré les 40°, la vie est toute simple, parfois.
Oui, quelques bricolages à faire mais, de grâce, pas de pression ! ça reste lisible et – j’espère – avenant.
Merci à toi : j’aime notre blog-notes.
(Mise à jour : Mots tranchés raccommodés. Autres détails au bout du dé : une maille à l’endroit, une maille à… 🤔)
Oh bravo ! C’était pas beau 😫 et nous, on aime quand c’est beau !
Merci aussi pour la photo de profil. Je dis ici qu’elle est signée Feggari Xouw mais je vais le dire plus clairement.
Et c’est toi qui l’a mise à disposition : j’en ai de la chance avec mes amis !
Le doux solipède
Offre au marcheur égaré
Ses yeux pour chemin
Oh merci, Patrick : il est bien paisible et profond, ce haïku !
Très touchée
Joli !