Il m’arrive de mener plusieurs lectures de front. En général, des genres bien différents. Un essai, de la poésie, un roman. Je vague et divague de l’un à l’autre. Et comme j’ai des piles de tas et inversement, il m’arrive d’en égarer un. Pas longtemps.
Parfois, chance, c’est celui d’un ami et double chance – voire triple – il est trilingue. Il parle d’une ville tant aimée. Merci, Isaak Begoña.
Quand on connaît un peu cette ville si singulière, le livre d’Isaak vous y promène merveilleusement au détour d’une personne, d’une rue, d’un moment. Je proposerai un texte et ses traductions dans un autre billet.
Ensuite, le merveilleux Habiter en oiseau, de la philosophe et psychologue Vinciane Despret, enquête menée auprès d’ornithologues sur les notions de territoires, de conflits et… de musicalité. Le livre m’a d’autant plus embarquée que les premières pages sont consacrées au chant d’un merle : Ce sont des phrases, on peut les reconnaître, elles m’accrochent d’ailleurs l’oreille exactement là où vont toucher les mots du langage, dit-elle. Elle poursuit : Le chant m’avait donné le silence. L’importance m’avait touchée.
Quelle approche de ce monde ! Si documenté et précis et plein de grâce et de lyrisme. Chapeau, Madame !
Enfin, ni témoignage ni confession, un roman oui, car « quand j’écris je dis tout, quand je parle je suis lâche », et pourtant une histoire vraie dont il ne veut pas que ce soit la sienne et simultanément ne veut pas en être dépossédé. Histoire de la violence d’Édouard Louis est une lecture qui remue, dans laquelle la douleur est très durassienne.
Je ne raconte pas : c’est l’histoire d’une agression sexuelle. Mais que dit-on lorsqu’on emploie ces mots ? Un récit à plusieurs voix dont celle du narrateur, scripteur double puisque sa voix intérieure se superpose à la sienne, voix auxquelles s’ajoute celle de sa sœur… Construction élaborée mais c’est ainsi dans la vraie vie.
L’agresseur devient ” le nom du moment où tu as dû vivre ce que tu ne voulais pas vivre ” – ” En finir, s’en débarrasser, dans une mue qui n’est pas seulement identitaire mais littéraire et qui passe par la violence. En finir pour commencer. “ Christine Marcandier – Diacritik 5 janvier 2017
Contente quand même de l’avoir fini mais il n’y a pas de doute : cet homme est un écrivain.
OH, j’allais oublier ! J’étais infect mais jamais grossier. Une espèce de canaille aristocratique. Qui parle ? Georges Sanders, 1,92 mètre de cynisme, d’humour noir (so british), polyglotte, une voix magnifique, un triste destin… Ses Mémoires d’une fripouille (Memoirs of a Professional Cad) sont déroulées avec flegme, auto-dérision et surtout une drôlerie vacharde ! C’est épatant.
Je ne l’aimais pas trop… Et maintenant, je l’adore !
Merci Claire de citer Vinciane Despret. J’aime la générosité de sa pensée, laissant au lecteur sa part d’imagination. Elle nous fait comprendre la platitude de la vérité visuelle qui n’est que certitude alors qu’entendre un oiseau chanter est une énigme, une quête de curiosité, nous forçant à aller encore plus plus loin. Bonheur de savoir que nous n’avons pas accès à tout !
Jubilation des lectures d’été, les étagères qui ploient, les volumes retrouvés dangereusement empilés sur les escaliers, parce que nous n’avons jamais trop de livres.
J’aime aussi qu’elle mélange avec bonheur émotion et science. Les grands scientifiques (notamment les astrophysiciens) sont souvent humbles et leur langage si près de la poésie, ce ” four à brûler le réel ” (Reverdy). Son livre restera longtemps sur ma table de chevet qui est, elle aussi bien encombrée !
Opinion dissidente : il y a trop de livres ; ou plutôt, il y a des livres qui n’auraient jamais dû être écrits, ou en tous cas édités. Et je ne pense pas là à des cas extrêmes (Mein kampf par ex), mais à toute une production de niveau littéraire voisin de plus ou moins zéro, qui occupe les étagères des kiosques de gares. Je sais bien qu’on va dire qu’il est préférable de lire Lévo ou Mussy ou Gavalmachine que de ne pas lire du tout. On peut dire ça, mais pourquoi faudrait-il que les gens dont on dit qu’ils ne liraient pas s’il ne lisaient pas ces prétendus auteurs ne soient pas capables de lire avec plaisir et profit de la bonne littérature ?? Rien ne les en empêcherait. Et quand on entend que la “rentrée littéraire” sera prodigieuse parce qu’il y aura 650 romans à concourir pour le Goncourt, il y a de quoi s’inquiéter… Je sais bien que la littérature est aussi une industrie, mais quand même…
PS : et que penser du “livre” (sic) de ce type qui faisait fonction, il y a une 12zaine d’années, de président de la République, et qui paraît il se vend comme des petits pains ? C’est pas un livre de trop, ça ?
Très cher Ed,
Vous avez entièrement raison : il y a trop de livres ! Peut-être aurais-je du écrire (BONS) livres ? Mais qui suis-je pour dire si tel ou tel livre est BON ? Je n’ai pour ma part jamais lu les auteurs dont vous parlez mais j’en ai entendu parler, bien sûr. Comment y échapper ?
Cet argument (” mieux vaut lire du médiocre que rien ” je l’ai entendu pendant mes études de bibliothécaire) m’a toujours semblé spécieux.
Des milliers de livres ” de trop ” ! C’est certain. Trop de tout. Il faut vendre ! Mais pour la ” bonne littérature ” – même si je pense que nous nous accordons sur certains auteurs – il faut savoir lire ! Et vous savez bien que cela s’apprend et porte le joli nom de Culture.
Alors, continuons à lire, relire. Et foin de scribouilleurs !
Tres juste. Je suis toujours éblouie par les diagnostics d’une dame vétérinaire de Gracay. Fondés sur la science, son expérience, ils admettent une part d’attraction irraisonnée pour des êtres différents capables de souffrance et d’intelligence.
Humble et frêle comme un oiseau, elle se prénomme Vinciane.