Le livre de lectures : ce que lire veut dire

1ère de couv Livre de lectures
À propos du Livre de lecture de Marthe Robert

Une anecdote d’abord : dans ma pauvre tête, depuis très longtemps une confusion entre Marthe RICHARD et Marthe ROBERT. Oui, je sais, c’est invraisemblable. Mais je sais pourquoi : il y avait dans ma classe deux Fabienne, une Fabienne RICHARD et une Fabienne ROBERT. Il me sera beaucoup pardonné… Nous parlerons de la seconde, pas Fabienne, Marthe !
DÉBUT : Comme je n’en finis pas de m’interroger sur la littérature et, surtout, sur les rapports exacts des choses écrites avec la vie, je me propose de consigner ici, dans une sorte de Journal non daté, les remarques et questions qui me viennent à l’esprit en relation avec ce que je lis, sans tenir compte du genre des textes ni même de leur qualité. Dans ce recueil que j’intitule Livre de lectures, par antiphrase, cela va de soi, car on n’y trouvera pas de ces modèles fournis par les anthologies, et encore moins les certitudes sur quoi se fondent les manuels, je n’envisage nullement de citer œuvres et auteurs pour en faire la critique, fût-ce au sens scientifique et technique que le mot prend désormais pour nous, mais bien plutôt de relever au jour le jour ce que le fait littéraire a de flou, de fuyant et d’incompréhensible au fond sous ses airs rassurants de phénomène classé.

De quoi nous parle-t-elle dans ce livre ? De Kafka, bien sûr, encore et toujours Kafka : Le silence dont la littérature entoure ses privilèges et la nature de sa fascination, Kafka est paradoxalement le seul à le dénoncer ou tout au moins à le forcer à s’avouer. […] Surtout dans ses derniers récits, il décrit l’art sacralisé, divinisé par ses propres soins et condamné à se dévorer lui-même.
Elle nous parle encore de la “mégalomanie du roman”. Dans des pages magistrales, partant de déclarations de Soljenitsyne (le roman n’est pas seulement un puissant moyen d’expression, mais tout bonnement le révélateur de la vérité), elle explique que c’est la foi de la toute puissance du roman qui rend le combat possible et donne à l’entreprise chimérique une vraie chance de se réaliser.  Mais Soljenitsyne reste fixé aux conceptions magiques de ses grands prédécesseurs  : comme Balzac, il se prend pour “le secrétaire de l’Histoire” et s’érige, comme Zola, en “juge d’instruction de l’humanité”. Mais les temps ont changé et le roman aussi.

Marthe Robert

Elle évoque – et elle sait de quoi elle parle ! – l’importance décisive du traducteur “non seulement dans la diffusion de la littérature mais dans la circulation et la fabrication des idées.” Elle insiste sur la synonymie étymologique de traduction et interprétation. Je pense à la musique, bien sûr.
Elle dit l’indignation de Flaubert à la proposition de son éditeur de faire une édition illustrée. “Vous voulez que le premier imbécile venu dessine ce que je me suis tué à ne pas montrer ?”

C’est un livre à butiner. Tout y est passionnant : ses souvenirs d’Artaud qu’elle accompagna dans le Midi en 1948 et qui toutes les nuits hurlait des poème de Nerval, ces mots de Brecht qui se dit inspiré par… la Bible, ces réflexions profondes sur l’acte de création littéraire.

Pour souffler un peu, une autre photo de la dame :

Marthe Robert

J’aime vraiment le passage où elle évoque la catégorie de “l’intéressant” qu’elle assassine allègrement et brillamment : “l’intéressant expulse du vocabulaire le beau, le vrai, le juste ou le faux, le manqué ou le réussi pour ne parler que de l’ici et du maintenant […] il est aussi nombreux que le vrai est rare – il a surtout pour but de faire obstacle au jugement […]”. Je ne peux tout citer.
Ses passions : Kafka, Flaubert, Freud et la psychanalyse. Mais aussi Kleist, Büchner et les frères Grimm. Elle a fouillé très profond dans sa réflexion sur le roman. Elle avait appris l’allemand à une époque où cela n’était pas très bien vu. Elle en est devenue traductrice.
Dans un curieux entremêlement, elle a écrit à partir de ce qu’elle lisait et lu à partir de ce qu’elle écrivait, de ce qu’elle découvrait en devenant de plus en plus érudite disait Mathieu Lindon dans Libération en 1996 lors de la mort de Marthe Robert.
FIN : Cela dit, il n’y a pas de dernier mot. La danse de mort où la littérature s’étourdit et s’épuise ressemble à celle de Strindberg en ce qu’elle n’est encore qu’une répétition : elle ne trouve une espèce de fin que dans le Continuons ! Par quoi le Capitaine, à bout de forces, s’assure le retour de ses vieux tourments. Eh bien, soit, continuons…»

Et pour Marthe Robert qui a tant aimé Cervantès et pour nous qui aimons tant Don Quichotte, voici un extrait de celui de Richard Strauss interprété par Yo Yo Ma. On est au paradis avec eux tous. Et c’est pas mal !

P.S. : aucun crédit photo, j’ai pourtant cherché partout.

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