Ce fut une incroyable randonnée, un voyage infernal et divin que la lecture de Givre et sang de John Cowper Powys. Épuisante et fantastique. Malgré l’ancienneté de cette lecture, le choc demeure. Quand j’y pense, je suis reprise par une espèce de fébrilité, une émotion puissante. D’une densité rare, cette épopée emporte hommes, femmes, bêtes, tous encerclés par la Nature, vers des destins tracés. De ces livres que l’on n’oublie jamais.
Pour écrire ce billet, je voulais feuilleter le livre, le parcourir : je n’ai pas pu. Je l’ai relu en entier, Mais ce que j’ai retenu surtout – et qui m’embarque si fort à la relecture – c’est la puissance inouïe du sensuel ! Il n’est pas un brin d’herbe, l’évocation d’un parfum, le détail d’une poussière dans la lumière, la couleur de l’eau de la Frome, rien n’échappe à l’observation puis la description du monde qui entoure les héros. On ressent absolument ce que l’auteur voit, sent, entend : on y est, on peut même devenir avec lui, comme lui, ce brin d’herbe foulé, ce parfum d’églantine, cette flamme du feu, ces parcelles de givre accrochées aux branches.
Le bonhomme est étonnant : un géant gallois qui, bien que fils de pasteur, revendique son panthéisme, une vie entre «la vie du ver et celle du dieu» (worm-life and god-life). Ses personnages sont bien souvent au bord de la folie, dans un univers multiple, le fameux « multivers ». La fratrie exerce sur lui une emprise puissante. Les frères sont dans sa vie et dans ses livres. Puissance des liens.
J’aime que l’homme ait eu une passion pour Dostoïevski, j’aime qu’il ait écrit L’art d’oublier le déplaisir, j’aime qu’il ait dit » Le sens esthétique ne révèle pas seulement la beauté et le bien, il révèle aussi le grotesque, l’étrange, le scandaleux, l’indécent et le diabolique. « , j’aime qu’il ait voué un culte à Rabelais et que partout chez lui, bêtes et plantes participent de l’écriture au même titre que les humains.
Wolf Solent : » J’ai été stupide d’essayer de faire de mon âme un cristal dur et rond ! C’est un lac.. rien d’autre…, avec une nuée d’ombres flottant au-dessus comme autant de feuilles ! «
Puissant magicien ou enfant perdu, clown ou fou sacré s’interroge Morine Krissdottir, biographe de Cowper Powys.
Il y a beaucoup de tombes chez John COWPER POWYS. Cette musique nous fait léviter. (Merci Laure de la découverte de ce musicien prodigieux, Teodor Currentzis)