Marguerite D. et Malcolm L. ou l’écriture (l)ivre

Des rencontres ennivrantes

Marguerite Duras et Malcolm Lowry : pourquoi les avoir rapprochés, ces deux-là que tout sépare ?

L’alcool, dit-elle, supprime l’effroi du face à face [avec elle-même]… En fait, l’alcool ne supprime rien, il sursoit, il remet à plus tard, il procrastine.

 

En fait, voilà ce qui les rapproche : le soliloque. Les alcooliques parlent tout seuls ; même les écrivains alcooliques soliloquent et, en ces monologues intérieurs, le visuel devient vision. Tremblement du visible et solitude. On croit qu’ils écoutent, en fait ils sont absorbés par leur monde intérieur. On boit ensemble mais on est saoul tout seul disait Blondin.
(Tiens, on voit Michael Lonsdale derrière Dephine Seyrig dans India Song et il est vice consul ; tiens, le héros d’Au dessous du volcan est consul…)

Non, on n’a pas envie de les plaindre, d’ailleurs ils ne le demandent pas. Mais on est triste. À bien y réfléchir, on comprend que l’alcool est condition et obstacle et que là est le drame. Tu me tues, tu me fais du bien, dit-elle encore…

L’alcool permet d’accentuer, et ainsi de mettre au jour, deux vérités fondamentales : d’une part, celle de l’insignifiance du réel, d’un sens introuvable, non pas parce qu’il aurait été perdu, mais parce qu’il n’a jamais existé. D’autre part, une propension toute humaine à chercher une dimension sous-jacente, une sur-réalité cachée sous le réel, et ayant en fait le but inavoué de le récuser et d’en éloigner l’insupportable univocité  Clément Rosset, dans Le réel. Traité de l’idiotie

Pourtant quelle impitoyable lucidité ! Dans le débit de l’écriture automatique (qui n’est ni le débit de l’eau, ni le débit de lait !), on entend la voix qui tangue, le timbre qui titube, la pensée qui zigzague, qui divague, qui dit le vague. Et parfois, on trouve ça beau, parfois.

Allez, comme disait Marguerite, si on allait en boire un, pour une fois qu’on n’est pas mort ! 

P.S. : à l’origine, j’avais proposé l’étonnante Elise Dabrowski qui chante Nuit Rhénane d’Apollinaire. Impossible de retrouver  la video.

0 Shares:
Choisissez de suivre tous les commentaires ou seulement les réponses à vos commentaires
Notification
guest
2 Commentaires
Inline Feedbacks
View all comments
Lucie
Lucie
il y a 13 années

J’aime beaucoup ce poème d’Apollinaire et je ne savais pas du tout qu’il avait été chanté, il est bien comme ça aussi. Merci!

TempesduTemps
TempesduTemps
il y a 13 années

Moi non plus, j’ai découvert cette version en cherchant sur le net car dans ce cycle beaucoup de textes ont été chantés. Autrefois, je lisais Les sept épées : c’est très étonnant, ce
texte, les noms d’épée sont superbes : Malourène, Pâline etc. Le connais-tu ? Du coup, merci à toi, j’ai relu Alcools !

Vous pourriez aussi aimer