Nous devisons. Nous parlons de friandises chocolat-menthe. Je me souviens tout à coup que je n’ai jamais aimé la menthe. Enfin, le sirop de menthe, les bonbons à la menthe, les dérivés en fait ; car pour la menthe fraîche et le thé de là-bas, j’aime.
Se met en place une sorte de puzzle dans ma tête. Je laisse s’installer ce brouillard d’où émergent des formes, des sons et des parfums (qui tournent dans l’air du soir… je m’emballe !). Soudain, une image jaillit : celle d’une immense lampe dans une salle d’opération. Scialytique me dit mon camarade qui est très technique. À elle toute seule, un instrument de torture. Genre ça à gauche :
Je suis petite, j’ai cinq ou six ans. J’avais déjà peur avant, je suis trouillarde et douillette. Mais à cet instant, c’est la terreur. Autour de moi, ils ont des masques blancs sur le visage. S’ils sourient – ce qui m’étonnerait – je ne le vois pas. Et alors, arrive le pire, l’impensable, le cauchemar absolu : on approche de mon visage un masque qu’on maintient de force – de toutes façons je suis attachée – et je suis obligée d’inspirer. Je comprends qu’on veut me tuer tant cette sensation est monstrueuse : odeur horrible, nausée, étourdissement, je pars, je meurs… Juste le temps de me demander comment ma mère qui m’a montré mon Zootie, l’ours chéri, et m’a souri jusqu’au bout du couloir peut laisser faire ça.
Le réveil sera terrible aussi mais ça, on me l’a raconté. L’histoire ne s’arrête pas là. Le premier matin à l’hôpital, seule, sans ma maman, depuis mon lit, j’entends dans la rue une voix d’homme qui braille : “Peaux d’lapins, peaux d’lapins”.
Et au traumatisme de la veille s’ajoute celui de la vision des lapins écorchés. Quand plus tard on chantera dans la cour de récré “Haut les mains, peaux d’lapins, la maîtresse en maillot de bain”, mon cœur se serrera toujours. Donc cette mort par odeur et les peaux d’lapins sont étroitement associés dans mon esprit.
Bien sûr, les années qui ont suivi ce drame absolu, je n’ai pu entrer dans un hôpital : souvenez-vous, cette odeur, l’odeur de l’éther. Je tournais de l’œil systématiquement.
Eh bien, bizarrement, l’odeur de la menthe et celle de l’éther sont liées dans ma mémoire olfactive. Donc, quand mon frère et ma sœur demandaient une menthe à l’eau, je prenais de la grenadine. C’est rouge comme du sang, mais ça ne sent pas l’éther au moins !
Le tango stupéfiant : Pour oublier celui que j’aiaiaiaiaiaime
https://www.youtube.com/watch?v=lS0Q1h6k408
Depuis mon enfance je n’aime pas les bouillottes, l’une d’elles m’a déclenché un belle péritonite. Concernant l’éther, j’aime bien, sûrement un truc familial (tu vois à qui je pense).
Une odeur que j’adore est celle de la badiane (anis étoilé), tu dois te souvenir ?
Oh la la , la péritonite, je m’en souviens encore (très vilaine cicatrice) et ça n’est pas un bon souvenir ! Pour l’éther, peut-être en plus le vieux truc familial dans ma réaction de rejet. Quant à la badiane, souvenir très précis ! D’après maman, c’était bon pour tout. Délicieux parfum et si jolie graine, étoilée.
Très suggestif….des odeurs couleurs saveurs premières…. bien dit ou plutôt bien écrit ! chacun ou presque peut s’y reconnaître
Je ne retrouve plus ton billet sur les fêtes…. pas eu le temps d’y répondre ! mais c’était tout ce que j’aurais aimé écrire…. et cette année, piégée , je peste !
Vrai de vrai , l’an prochain, on se loue un petit gîte sur l’Aubrac, avec mon chauffeur préféré, on se fait griller des saucisses, et on devise au coin du feu avec quelques sonates de Bach !
Pour la menthe… j’ai cru comprendre que presque chaque ancien enfant avait son souvenir trauma d’un hôpital, d’une opération, bref de la grande peur des blouses blanches et des seringues !
Les fêtes, ça y est Joëlle, et finalement, cela peut très bien se passer. J’ai eu de la chance, cette année. Mais tu me fais envie avec l’Aubrac, le coin du feu… et BACH ! L’Oratorio de Noël, la merveille.
Ah le masque au chloroforme, opération de l’appendicite je devais avoir autour de 7 ans, le cauchemar (pour toujours). Je me souviens, je me débattais, il a fallu plusieurs personnes pour me maintenir de force jusqu’à l’endormissement programmé. Mais pas de peaux-de-lapins au réveil, ouf ! Et “ma” menthe à l’eau n’a pas la couleur de la tienne, juste une brise fraîche.
Un cauchemar, n’est-ce-pas ? Comme tu le dis, inscrit dans la mémoire du corps pour toujours. Pour la menthe à l’eau, pas grave : suis assez vite passée à plus fort et rouge que la grenadine, ou aux bulles mais pas limonade… Santé, dame de l’île !