Dans la série “marronniers”*¹ voici des nouvelles du balcon et ce joli cadeau, soleil au soleil. Déjà le bourdon rôde. Et des promesses avec des graines semées : on attend les pois de senteur, les bleuets et autres cosmos. Le jasmin

est en boutons. Advienne que pourra.
Mais je voulais aussi parler de Marie-Agnès, Joëlle et Thierry, les ch’tis cabossés, les illettrés que j’ai vus l’autre soir. Il y est aussi question de renaissance. Leur courage, leur sincérité et cette façon “d’y aller” avec force et détermination m’ont émue au plus haut point. Tous trois ont grandi sans instruction ni amour, Thierry était même souvent enfermé dans la cave. Jusqu’à ce que, chacun de leur côté, ils poussent la porte de l’association de lutte contre l’illettrisme, Mots et Merveilles. Il y a un avant et un après. Observer leur transformation, écouter le récit de leur vie, du temps où ils avaient honte, vivaient comme des fantômes, survivaient, est poignant. Ils se souviennent sans pathos… quand l’estime de soi était inconnue, quand on ne pouvait que reproduire le schéma des “mauvaises personnes”, quand on ne pouvait pas aider son enfant à faire ses devoirs et surtout, surtout, qu’on ne pouvait pas lui dire “je t’aime” : Marie-Agnès disait “je te aime”, elles en rient aujourd’hui, sa fille et elle ! La simulation d’entretien d’embauche est un grand moment ! La séance de maquillage est belle. Parce qu’elles se découvrent, oui, elles sont des femmes et elles peuvent, elles ont le droit d’être belles. Les mots mènent à tout. Joëlle, celle qui a appris à marcher tête haute, à regarder les autres, le ciel, la vie et qui découvre l’eau et la mer… Il faut voir avec quelle assurance elle aide son garçon pour ses devoirs. Quelle métamorphose ! Et l’on comprend qu’apprendre devient un acte d’amour. Son sourire vers l’horizon est un cadeau.
Chapeau aux deux cinéastes*² ! C’est avec un immense respect qu’ils sont au service de ces adultes blessés, eux qui « n’intéressaient personne » et n’étaient pas encore nés.
“Maintenant, il y a de la liberté” dit Joëlle “je vois la vie et je me tiens droite.”
* Marronniers : terme de journalisme pour désigner un sujet de peu d’importance et récurrent. Ex. : les soldes.
* Renaître avec les mots Documentaire de Philippe Lagnier et Alexandra Alévêque, 2016
Comment dans notre société peut-on laisser, abandonner, ces enfants et ne pas leur donner le goût de la lecture et de l’écriture? Certains “Professeurs d’école” je dis bien certains puisque “Instituteur-Institutrice” a été banni… ne se rendent pas compte de leur non instruction! (Je peux en parler…) et laisser des enfants voguer jusqu’à l’entrée en sixième sans savoir lire et comprendre les mots. Oui, je suis pour l’apprentissage du b-a ba, apprendre de jolies récitations, et faire du calcul mental, bon, pas sur nos vieilles ardoises mais après il y avait aussi les ardoises magiques! Cela me révolte!
Je salue ton souci-soleil majestueux et attends les pois de senteur que j’aime tant, les cosmos légères en ton pastel avec impatience…..
Mais ceux-là, devenus adultes, ont eu une enfance… sans enfance ! Ils y viennent seuls armés de leur seule “envie de s’en sortir”. Le père de l’une d’elle ne savait ni lire ni écrire et ne voulait pas que ses enfants apprennent. Il faut, pour transmettre le goût des mots et du savoir, avoir eu sa part du gâteau.
Voilà pourquoi j’écris de moins en moins car je suis très souvent à côté de la plaque! Bon, c’est vrai je ne suis pas rentrée dans ton sujet, j’ai extrapolé… “Enfants devenus adultes sans instruction ni amour” Mais que font les assistantes sociales? Je suis heureuse pour eux d’avoir eu la curiosité, le courage d’avancer, de sortir la tête hors de l’eau de se sentir grandir et aimer… Victoire!
Il n’y avait de vraie maltraitance que pour Thierry… même si le père qui empêchaient ses enfants de lire est – pour moi – maltraitant. Il y a tant de misère morale, sociale, affective, culturelle, tout cela se tenant qu’il est impensable de recourir aux travailleurs sociaux pour toutes ces carences.
Moi aussi, j’ai éprouvé un grand bonheur de voir ces personnes re-naître par la grâce des mots. Et pour ton hors-sujet… ça n’est pas important.
Je me sens très proche Claire de ces personnes en situation d’illettrisme , de par ce que fut mon métier et de par aussi mes engagements et mes convictions. Ce phénomène social dans notre société ultra libéraliste relève davantage de causes sociologiques que psychologiques. Les conséquences dans les trajectoires de vie sont lourdes.
Ce qui m’a le plus étonnée, c’est comme toute la personne change quand elle a accès à la langue, aux mots. Merci de votre passage et de votre sensibilité à cet énorme problème : effectivement, on n’ose imaginer la vie de ceux qui ne s’en sortent pas !
Oui . L’accès aux mots nous humanisent, comme l’entrée dans le langage pour le petit de l’homme. L’entrée dans la symbolique ouvrant à la création. Merci aussi pour cet échange .