Quand la grande littérature vous rattrape à la supérette de Saint-S. (en plus, il y a une excellente librairie à Ribérac, L’Arbre à Palabres où je me suis lâchée aussi !)
Nous sommes dans un SPAR, espèce de magasin dont l’enseigne ne se trouve que dans certains coins – il faut manger, même en vacances – en l’occurrence, dans un bled entre Dordogne et Charente. Et parfois dans ces magasins, des livres soldés sont jetés en vrac : là, sur le haut, avec une grosse pastille orange fluo annonçant “Foire aux livres” et aussi 3€, un petit livre d’Henry BAUCHAU : Temps du rêve *. Le livre rejoint les pâtes, la salade et les tomates. Je suis étonnée : du BAUCHAU au Spar de Trifouillis-les-Oies !
Je n’aurai jamais osé faire un billet sur cet écrivain ! C’est uniquement parce que j’ai trouvé ce petit livre écrit à vingt ans, livre moins intimidant que les autres que je peux en parler.
C’est un livre d’enfance, écrit par un enfant de vingt ans. Et c’est étrange parce que le dernier livre de BAUCHAU, celui qu’il a dicté parce qu’il ne pouvait plus écrire – l’auteur est mort à 99 ans – s’intitule L’Enfant rieur. Il disait que tous ses romans traitent du même sujet : comment rattraper une vie mal partie.
C’est un livre d’amour d’enfance : c’est fort l’amour des enfants, c’est immense, démesuré mais précis aussi : rien n’échappe à une sensibilité d’enfant. J’avais onze ans et elle sept, dit-il ; la rencontre avec Inngué sera fondatrice. Il dit encore, alors qu’ils viennent de se rencontrer et jouent à cache-cache par équipes : Nous mangeons (des cerises trop mûres) en silence, accroupis comme des Indiens. Elle me fait précautionneusement jeter les noyaux dans un petit trou, mais soudain m’en souffle une rafale dans la figure en riant.
Comment retrouver et écrire si finement la mémoire et les images, les sensations du corps et les tourments de l’âme ? Tout est resté inscrit, il n’y a plus qu’à se pencher et écouter l’enfant qui n’a rien oublié. Plus qu’à… Je serais avec Inngué dans une petite barque toute blanche, à la mer. Je la conduis avec une grosse perche comme le radeau de l’an dernier. Je dois être très habile et bien la protéger, car on nous poursuit. Rieuse, elle fait danser la barquette, il y a du soleil, je suis heureux… Je dors. […] Je suis un enfant.
J’aimais déjà cet écrivain, son parcours, sa venue tardive à l’écriture par la poésie d’abord. Je suis confirmée dans cet attachement.
Les arbres m’inspirent particulièrement. Ils me parlent de vigueur, de durée, de mort. Par leur seule existence, ces cathédrales végétales me dispensent un enseignement très fort.
Je propose cette musique parce H. BAUCHAU a écrit un livre Œdipe sur la route et que George ENESCO – assez haut dans mon panthéon des musiciens – a composé un Œdipe. En cherchant, j’ai trouvé ça, j’en ai aimé l’enfantine folie, la turbulence.
* Henry BAUCHAU – Temps du rêve – Actes Sud, 2012 (Un endroit où aller)