Ma chère Claire

Deux ou trois choses que nous aimons d’elle, Madame CLAIRE BRETÉCHER (nom que peu de gens prononcent bien). Exercice d’admiration

Spécial dédicace PPP : 

Il y a bien longtemps que je veux vous écrire. Et maintenant, c’est trop tard ! Enfin, je vous écris mais vous ne recevrez pas ma lettre. Vous êtes partie. Je vous en veux. Je m’en veux de ne pas vous avoir dit à temps à quel point vous avez compté pour moi.
Je vous ai rencontrée ou plutôt croisée au Salon du Livre à Bordeaux, il y a bien longtemps. Mon travail consistait, durant les quatre jours de l’évènement, à accueillir les auteurs.
Vous étiez à la fois très simple et très intimidante. Je connaissais vos dessins depuis longtemps !
Voilà : si je vous avais écrit quand il était temps, que vous aurais-je dit ?
Que j’aurais aimé vous ressembler même si je ne savais pas grand-chose de vous : vos dessins disent. Que j’ai bien connu les gens dont vous parlez ou que vous faites parler ; car vous ne vous contentez pas d’avoir un coup de crayon fantastique, vous écoutez et transcrivez.

Ça n’a pas été facile, hein, le démarrage dans le métier ? Les gnangnan, au début : je les aimais déjà.

Vous dites : Je n’arrive pas à dessiner des gens sympathiques. Vos frustrés, les bobos, même s’ils en riaient ne pouvaient que s’y reconnaître. Une amie m’a raconté ceci : à la sortie du cinéma (un Woody Allen, je crois), elle discutait avec ses amis sur le trottoir. À sa grande surprise (et honte), elle a retrouvé exactement une réplique dans la bouche d’un des Frustrés du Nouvel Obs de la semaine suivante. Ah vous aviez l’œil, certes et l’oreille aussi !

Ce que j’aimais, chez vous, c’est cet air à la fois bravache et mélancolique. Non, vous n’êtes pas tendre, enfin pas dans vos dessins. C’est même assez vachard. Mais c’est drôle et si bien vu !
On est forcément un peu triste quand on est si lucide !
Les vieux (Zonzon, l’arrière grand-mère d’Agrippine) et les petits s’en sortent à peu près. Mais les ados, les quadra, les mères, les mecs, qu’est-ce qu’ils prennent ! On vous le reprochera d’ailleurs, vous égratignez sérieusement (??) les féministes.

Voilà, ce que je vous aurais dit : j’admire votre liberté. Vous ne servez la soupe à personne. Vous dites ce que vous pensez. Et la vérité, on le sait, n’est pas gentille. Vous épinglez. Rien ne vous échappe, tout est d’une justesse implacable et le pire, c’est que c’est drôle !
Et ce dessin rapide, vivant, où chaque détail compte, ces gens si incarnés !
Que vous dire encore ?

C’est après votre mort (je vous savais malade, une vacherie sans nom) que j’ai vu des entretiens où votre franchise saute aux oreilles. Mais aussi, ce côté ” brut de décoffrage ” qui caractérise certains timides. L’ironie vous va bien, elle n’est pas mépris.
Tout le monde le sait : Roland Barthes dira de vous que vous étiez la meilleure sociologue de l’année, à quoi vous répondrez ” N’importe quoi ! ” !
Et pourtant…

Ce que j’aime aussi, c’est cette vivacité, cette excitation de certaines planches et soudain… un accablement total. Comment ne pas être embarqués par cette cyclothymie ?

Certaines répliques sont gondolantes. Merci, chère Claire pour ce : « Mozart, c’est nul. Sauf la musique du film. » (“Agrippine” n°1).
Pour vous, deux petits cadeaux : une citation de Pierre Desproges, Tribunal des flagrants délires, 1982 […] Je hais cette femme… écrasant de sa croupe arrogante le banc de l’infamie qui ne lui a rien fait, cette sémillante gorgone qui essaie tant bien que mal d’abriter son âme noire sous le masque trompeur de sa pulposité nordique, cette maudite gargouille graffiteuse […]

Et une espèce de grande sœur, que j’aime aussi et à laquelle je pense souvent quand je vous lis.

Merci pour tout.

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