Commencer par la fin, ce qui permettra de remonter le cours. Faire du vrac, ne pas trier. Carte postale bizarre.
– Dans l’avion, fermer les yeux si fatigués d’avoir tant vu
– Se pencher sur le puits intérieur, entendre le seau toucher l’eau des souvenirs
– Revoir les creux bleus et bosselés de l’eau où l’écume se promenait, se dire encore et encore que le mot “moutons” ne convient pas, en chercher un autre, ne pas trouver…
– Cesser d’attendre : être l’attente
– Remonter sur la margelle le seau plein d’une eau si pure
– Faire le mort comme font les bêtes rusées
– Plonger toute la face, yeux ouverts, dans le seau, ne pas y voir des images mais des mots
– Toucher les mots mouillés comme les galets, des mots doux comme chatons, des mots couleur d’abricot, des mots parfumés d’origan… Chaton, abricot, galets, origan. Les mâcher.
– Trouver dans les yeux buveurs de l’eau du puits les plaines immenses des nuages
– Pouvoir marcher sur les dalles des petits cumulus (on en est sûre !) : c’est une marelle
– Repenser au poème de Desnos * : À la margelle des âmes écoutez les gammes jouer à la marelle.
– Voir là-haut les indigos inconnus du puits
– Consoler le puits mémoriel en lui chuchotant que rien n’est comparable au cristal de son eau, à la profondeur de ses mots, à la justesse de ses touches
– Entendre les musiques qui ont accompagné le voyage et pour dire merci à l’amie de tant de générosité, continuer avec elle et notre Soave sia il vento par le génial Teodor Currentzis, au début de la vidéo…
* Robert Desnos Rrose Selavy in Corps et Biens – Première parution : 1930 – Collection Poésie/Gallimard (n° 27), Gallimard, 1968
Narguer les Alpes enneigées au retour, la fraîcheur de ce puits après les 40° qui rendent hermétiques à toute sensation, machouiller les cailloux salés, et Mozart, for ever.
Oh non, les 40° ne rendent pas hermétique : ils exacerbent ! Quant au puits mémoriel, son eau n’a pas fini de me donner à boire, à voir. Merci de partager avec tant de légèreté profonde et de douceur ces lieux de force. Jamais assez merci.
Merci de dire les mots ( maux) du retour, mots que je n’arrive toujours pas à trouver.
Tu traduis si bien ce vrac d’images, de saveurs de sensations en tous genres… olfactives et tactiles. Origan et galets. Et le sel sur la peau après le bain du matin, du silence, quand la crique est déserte et qu’apparaît le chat à pas de voleur, bien étiré de son sommeil. Et elle est si loin maintenant l’île, et la mer aussi. Tout est passé si vite. Se noyer dans les images souvenirs , fermer les yeux pour mieux retrouver. Et écouter la belle video que tu as postée. Merci Claire.
Tu dis très bien aussi, Joëlle ! Nous sommes saisies par ces lieux… comment pourrait-il en être autrement ? Ils allient puissance tellurique, beauté de Thalassa (oh les plages de Tinos !), douceur des gens et des bêtes. J’y suis encore. Seul l’avion a atterri.
oui, tant de paysages, de mondes sensibles nous sont nécessaires, me sont nécessaires à travers la musique et celle de Teodor Currentzis qui dirigea La Clémence de Titus à Amsterdam d’où je viens, emmenant avec moi 7 fans absolues. Ce soir Amadeus sur Arte….
Continue à nous traduire tout ce que tu vois avec tes mots si personnels et inimitables.
Franceskha
Teodor Currentzis dans Mozart (mais aussi Haendel, non ?), l’amie qui m’accueille en est fana : nous avons aussi écouté Ah… socccorso du Don Giovanni. Je me suis souvenue qu’un jour – il y a longtemps – tu avais parlé d’être crucifiée par une musique. Alors… douleur totale et/ou plaisir total, that’s the question, hein Feggari ?
Amie-musique, je te dois tant !
Oh j’arrive un peu tard, plaisir d’errer sur tes pages, de relire, et le “hein Feggari” m’interpelle, il m’avait échappé. Oui, ce Soccorso crucifiant et les Adieux du Cosi de ce Currentzis extra-terrestre qu’on écoutait, les yeux embués. Allez, je t’envoie un peu du parfum des derniers origans de l’année.
Heureusement que j’en ai rapporté… Parfois j’ouvre le bocal et je sniffe. Les rares personnes à qui j’en ai donné sont émerveillées.
Et tout le reste est encore vivant, vif.