Jacques Hochmann et les roms

Jacques Hochmann écrit à Nicolas Sarkozy au sujet des Roms.

Pour fêter mon centième blog, je laisse la parole à une grande figure de la psychiatrie, Jacques Hochmann. Je rejoins, modestement et par parole interposée, l’indignation de certains. Ce n’est pas un concert larmoyant ni même de la bonne conscience : c’est vraiment une consternation. Laissons parler ceux qui le font bien.

http://www.djangostation.com/La-grande-voix-tsigane-de-Roumanie,1288.html

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Lettre ouverte au président de la République

par Jacques HOCHMANN, professeur émérite de psychiatrie à l’Université Claude Bernard (Lyon).

18.08.10

Monsieur le Président,

Comme vous je suis un fils d’immigré (polonais, en ce qui me concerne). Mon père est venu étudier en France, en 1925, il est retourné se marier au pays, en 1932. Je suis né en France, en 1934 et nous avons, mes parents et moi, été naturalisés français, en 1936, sous le Front Populaire. 

 Bien que mon père, ingénieur dans une usine métallurgique, ait participé à l’effort d’armement de la France et ait toujours été respectueux de la loi, nous avons, en 1942, en tant que juifs, été déclarés déchus de la nationalité française par le Gouvernement de Vichy, et, de ce fait, mis en danger immédiat d’être arrêtés et déportés. Nous n’avons dû la vie, comme beaucoup d’autres juifs résidant en France, qu’au dévouement et parfois à l’héroïsme de ceux qui, alors, nous ont cachés et aidés, en nous procurant de faux papiers et en nous hébergeant. 

Vous êtes né après cette sombre époque. Vous n’avez pas connu, dans la presse et à la radio, le déchaînement de la haine xénophobe. C’est la seule excuse que je peux trouver à ce que j’oserais appeler votre irresponsabilité, si je n’étais tenu au respect par la haute fonction que vous incarnez.
Vous n’êtes pas seulement, en effet, le chef d’une majorité qui conduit une politique choisie par les électeurs. Vous occupez une place symbolique, que reconnait la loi, en vous déclarant au dessus d’elle pendant la durée de votre mandat. En se dotant d’un Président de la République, en décidant, il y a presque un demi-siècle, de l’élire au suffrage universel, pour renforcer son image et son pouvoir, le Peuple souverain s’est cherché à la fois un guide à moyen terme et un arbitre transcendant les passions populaires.
Celles-ci sont promptes à s’échauffer, en particulier dans les périodes de crise économique, comme celle que nous traversons. La passion conduit à l’abolition de la réflexion, au passage à l’acte, à la décharge immédiate des désirs les plus primitifs. Quoi de plus passionnel, de plus irréfléchi et de plus primitif que la haine ou la peur de l’étranger. Surtout, s’il vit parmi nous, s’il s’infiltre à travers des frontières, érigées pour nous protéger, s’il viole ainsi continuellement le sentiment du chez-soi, l’étranger, quoi qu’il fasse ou ne fasse pas, est, en lui-même, une source potentielle d’insécurité. Il engendre inévitablement, dans les sociétés humaines archaïques comme dans les sociétés animales, la violence.
Dans les moments difficiles, il devient le bouc émissaire. Le Juif, le Romanichel et aujourd’hui le Noir ou le Beur, quelle que soit sa nationalité formelle, incarne ainsi, en lui-même, le danger voire le mal, indépendamment de son comportement objectif.
Il suffit de lire actuellement les commentaires des internautes et de suivre les sondages d’opinion pour s’assurer du large écho positif rencontré par vos propositions de Grenoble et par leurs applications immédiates. Vous surfez sur une vague porteuse. Mais c’est justement ce qui m’inquiète. L’histoire n’est pas avare d’exemples qui montrent jusqu’où peut conduire le débordement passionnel et avec quelle facilté peut craquer l’enveloppe de civilisation qui tente de les contenir, en s’appuyant sur les valeurs de solidarité, de tolérance et d’hospitalité qui font partie aussi de l’héritage humain.
Par delà votre personne, vous êtes le représentant de ces valeurs, vous avez pour mission, et vous l’avez rappelé dans un de vos anciens discours, en citant Edgar Morin, de faire oeuvre de civilisation. Un Président de la République doit renforcer le sentiment de sécurité en faisant un travail de pédagogue (ce qu’avait fait votre prédécesseur François Mitterand, en demandant au Parlement d’abolir la peine de mort, contre le sentiment prévalent dans la majorité de la population).
Les réponses au jour le jour que vous donnez, avec la fougue qui vous caractérise, aux problèmes actuels d’insécurité sociale, économique et d’ordre public, n’ont rien de rassurant. Vous avez déclenché, justifié par avance, des réflexes sociaux que vous risquez de ne plus maîtriser. Le Front national se réjouit de voir valider, au plus haut niveau de l’État, certaines de ses propositions.
Comble d’ironie, c’est d’un pays sans grande tradition démocratique, la Roumanie, où, comme d’ailleurs en Hongrie et en Bulgarie les Roms n’ont jamais joui d’un statut enviable, que vous viennent aujourd’hui les accusations de populisme et l’appel à une réflexion plus calme et plus inscrite dans la durée.
Veuillez agréer, monsieur, le Président, l’expression de la haute considération dans laquelle je tiens votre fonction.

Et pour ceux qui se mélangeaient un peu les pinceaux (comme moi, par exemple) voici des précisions sur la terminologie : Les Tziganes regroupent 3 grands ensembles historiquement différenciés en Europe : les Roms, d’Europe centrale, les Sintis ou Manouches de France, d’Italie, du Benelux et d’Allemagne, et les Gitans, du midi de la France, d’Espagne et du Portugal.

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Aurore Dupin
Aurore Dupin
il y a 13 années

voilà ce que m’écrivais le 12 juin 1867 , mon ami Gustave Flaubert : 

«  Je me suis pâmé, il y a huit jours, devant un campement de

Bohémiens qui s’étaient établis à Rouen. Voilà la troisième fois que

j’en vois . Et toujours avec un nouveau plaisir. L’admirable, c’est

qu’ils excitaient la Haine des bourgeois, bien qu’inoffensifs comme

des moutons. Je me suis fait très mal voir de la foule en leur donnant

quelques sous . Et j’ai entendu de jolis mots à la Prud’homme. Cette

haine-là tient à quelque chose de très profond et de complexe. On la

retrouve chez tous les gens d’ordre. C’est la haine que l’on porte au

Bédouin, à l’Hérétique, au Philosophe, au solitaire, au poète, à

l’artiste . Et il y a de la peur dans cette haine. Moi qui suis

toujours pour les minorités, elle m’exaspère . Il est vrai que

beaucoup de choses m’exaspèrent. Du jour où je ne serai plus indigné,

je tomberai à plat, comme une poupée à qui on retire son bâton.  »

 

TempesduTemps
TempesduTemps
il y a 13 années

Chère Aurore,

Merci 1000 fois de m’avoir communiqué le beau texte de Gustave. Je le transmets immédiatement via la machine magique.

Il est vraiment beau et profond… et fort bien écrit.

Ops
Ops
il y a 13 années

ça fait toujours plaisir de lire des tribunes comme celle-là ! Bravo et merci à ceux qui, comme toi, propagent ces antidotes.

TempesduTemps
TempesduTemps
il y a 13 années

Merci à toi, Ops : c’est le media de rêve pour relayer ! Si on ne le fait pas…

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