Krivine, j’aime bien ce nom. Je vous parle d’un temps que les moins de soixante et des bananes ne peuvent pas connaître. Je l’aimais bien. Il a un cousin qui s’appelle Emmanuel et que j’aime beaucoup. Celui-là est chef d’orchestre.
Je ne sais pas si c’est un bon chef d’orchestre. Je ne sais pas ce qu’est un bon chef d’orchestre. J’en aime certains et éprouve pour d’autres une forte antipathie mais ce n’est pas fondé sur des critères musicaux. C’est épidermique. Certains me fascinent et j’éprouve un grande joie à les voir œuvrer (Celibidache, Berstein) ; d’autres que je ne citerai pas ne me plaisent pas du tout. Je ne sais pas qui dirige bien. Je n’ai pas de compétences sur la direction d’orchestre.
Déjà, j’aime comment l’homme se présente dans la série qui lui est consacrée cette semaine sur France Musique. « Je m’appelle Emmanuel Krivine… Je fais chef d’orchestre ». Déjà, on sent le gars qui ne se prend pas la tête. Il est léger, direct, drôle. Comme un gosse qu’il est resté, sûrement ! Qu’est-ce que tu veux faire quand tu seras grand ?
Mais surtout, surtout, il est d’une honnêteté totale. Aucun narcissisme, aucune autosatisfaction. Il revient sur ses erreurs et ses insolences de jeunesse avec une sincérité parfaite et sans pathos. Il remercie au passage tous ceux qui l’ont aidé, mais comme ça, sans flonflon, sans pommade.
Il dit aussi des choses très profondes sur la conscience universelle comme pratique du sacré qui n’est pas l’apanage des religions. Tout n’est que vibrations. Et la musique, ce serait ça : observer, intégrer et admirer ce qu’il y a de sacré dans chaque instant de la vie et le célébrer. Mais il dit ça comme ça vient.
L’ancien violoniste devenu chef parle de sa carrière avec un naturel délicieux et beaucoup d’autodérision. Il explique pourquoi il n’est pas bon pédagogue : les mots sont justes, profonds. Il parle des chefs PDG et c’est vraiment marrant !
Mais ce matin-là, un moment m’a ravie, une histoire de lapin…
Il raconte : Une fois, à la campagne, j’ai vu un lapin au milieu d’un champ de blé ; et chaque fois que je suis un peu triste – ce qui arrive un peu souvent – je fonce à toute vitesse vers ce champ pour essayer de retrouver ce lapin… ou son emplacement… on dirait une source d’eau. Et ça me fait un bien fou, au milieu de ce champ de blé. Pourquoi ? Ce lapin était là et représentait cet élément qui est en contact avec ça, voyez ? Ce à quoi je n’ai pas droit en tant qu’humanoïde. Je me suis dit : mais pourquoi je n’y ai pas droit, après tout ? Je fais peut-être autant partie de ce champ que ce lapin… La musique c’est le champ de blé et je serai le lapin. Et il ajoute : pardon, c’est un peu improvisé tout ça…
Je joue avec et j’ai les mains vides. Mais les mains vides ne sont pas vides de sens ; elles sont justement la sage-femme. Tu aides à l’accouchement du bébé musique. Mais le bébé, c’est pas toi qui le fais. Et si c’était ça, être chef d’orchestre ?