Voilà voilà : c’est l’été dit-on, j’ai trois billets à feu doux, le ciel change de couleur et de forme sans cesse, on se laisse distraire (et on a raison) par des petits riens ou de grands moments. Et le temps passe et nous avec.
Aujourd’hui, on joue les oppositions. Je vous présente, avec une subjectivité totale et revendiquée, deux livres. J’expliquerai plus tard ce choix.
Voilà longtemps que je voulais dire que Joël Dicker n’est pas du tout un bon écrivain ! J’aurais laissé tomber la lecture de Un animal sauvage si je n’avais eu tout de suite l’idée d’un billet assassin : faut pas se moquer du monde ! Donc, je suis allée au bout et croyez moi, il faut tenir – surtout lorsqu’on sait qu’il y a tant de chouettes bouquins à lire. Bien punie de ma curiosité. Heureusement, le roman n’est pas trop long ; en fait si ! Beaucoup trop long.
J’essaie en vain de trouver une seule chose à sauver :
– Les personnages ont l’épaisseur d’une feuille de papier à rouler ; complètement caricaturaux : Sophie, elle, portait une robe noire divine, courte sur les cuisses, sexy en diable, qui sculptait sa poitrine ferme, tout en révélant ses jambes magnifiques qu’allongeaient davantage ses escarpins Saint-Laurent. OUF ! Collection Harlequin ? Vieil SAS ? Que nenni : Joël Dicker, l’homme aux douze millions de lecteurs. Je vous passe la description du mari banquier Rolex au poignet et torse puissant et velu sous sa chemise de grand faiseur.
Le choix des prénoms est assez parlant (genre romans de gare) ainsi que les décors où les salles de bain luxueuses et » attenantes » prennent beaucoup de place. Sans parler des lieux : Genève, Saint-Tropez… Bref la panoplie bling-bling mais ringarde. J’avais fait une sélection d’extraits mais cela rallongerait excessivement le billet.
– L’intrigue ? Bof bof bof… Que d’allers et retours dans le temps avec une précision d’horloge suisse (normal, il l’est) : on s’y perd. Révélation assez plate et happy end : soupir de soulagement.
– L’écriture : mais vraiment, quelle mécanique ! Une Intelligence Artificielle pas encore au point. Certes, sujet, verbe, complément sont présents. Encore heureux pour l’écrivain aux millions de lecteurs. Mais que de platitudes, de truismes, c’est d’un ennui abyssal.
J’arrête. Et j’attends – droit de réponse – les arguments d’une personne ayant aimé ce livre.
PAUSE MUSICALE totalement hors sujet mais (merci cousin !) découverte formidable.
Parce qu’on va évoquer maintenant ce qu’est un très bon livre. Il a frisé le Goncourt donc potentiellement un grand succès de librairie aussi.
Je veux parler de Le Mage du Kremlin de Giuliano da Empoli. Un livre qu’il n’écrirait plus aujourd’hui, dit-il, en raison de la guerre en Ukraine. L’écrivain est politologue.
C’est le conseiller le plus proche du Tsar – ainsi est nommé Poutine – qui parle. Baranov (Sourkov dans la réalité) aujourd’hui en disgrâce expose la trajectoire du maître du Kremlin ; il écrit l’humiliation infligée par l’Occident (par exemple le fou rire de Clinton lors de la visite de Eltsine) pendant les années 1990, l’obsession d’un pays qui se sent assiégé. Bref, l’ego national d’un pays malmené après l’effondrement de l’URSS, l’arrivée de l’argent, les oligarques : l’état d’esprit russe.
L’arrivée de Poutine au pouvoir en sauveur de la fierté russe, de la dignité perdue. Parler de la Patrie plutôt que villas sur la côte d’Azur.
Les russes savent que le pouvoir ment. Ils sont entre soumission et résignation ET ironie. C’est ainsi.
G. da Empoli décortique les mécanismes de cour et des courtisans avec une effroyable lucidité. C’est un roman mais de nombreux patronymes nous sont connus : Boris Berezovsky qui contribue à l’arrivée au pouvoir de Poutine, Makhaïl Khodorkovski, Bill Clinton etc.
Et tout cela dans un style parfait au scalpel, l’humour et la dureté se côtoyant allègrement. C’est brillant, très éclairant. Pas une seconde de répit. On comprend énormément de choses que nous voyions avec nos yeux d’occidentaux.
À lire, vraiment. C’est un peu injuste de mettre ces deux livres en opposition : l’un est un polar (ou se veut tel), l’autre une politique fiction très réelle. Mais ce qui me fait râler, c’est le nombre de lecteurs de l’un et de l’autre.
Je ne propose pas de photos. Vous les trouverez si vous en avez envie.
Je retourne déguster les dernières pages du Mage du Kremlin.