La grande ville

La grande ville, on l’aime pour ses trésors. On la déteste pour ses misères, sa multitude, sa crasse. On peut y voir et entendre des merveilles mais… on l’adore quand on en part.

La grande ville est une vieille femme épuisée. Elle porte des atours splendides, un chapeau magnifique, un ruban vert autour du cou, et ça et là sur sa robe, de fines dentelles. Certaines tombent en poussière, d’autres frisent encore. Elle agite crânement une aumônière crasseuse brodée de perles…
Dans ses jolis escarpins vermillons, les pieds de la vieille femme sont sales.
Sous ses gants de peau, ses ongles sont en deuil.
Elle est folle. Elle se permet tout. Elle caresse et agresse. Elle geint et rit. On la croit à bout. Elle porte encore en elle une jeunesse incandescente.
Il y a en elle un fleuve. Des îles et des ponts. Elle parade. Mais la vieille femme est folle et fatiguée, si fatiguée…
Elle offre sa folie à qui veut la voir. Elle offre ses belles vieilleries, autant de joyaux anciens qu’elle exhibe ou qu’elle cache. Elle n’a pas peur de la modernité. De toutes façons, la modernité la grignote. Alors, elle l’absorbe. Qui mange qui ?
Elle n’a plus d’odeur. Parfois, elle vous jette au nez un Dior ou un Guerlain. Mais à l’intérieur, elle est pourrie. Elle le sait et en rit.
Elle offre aussi les plus belles musiques du monde car les artistes l’aiment. Encore et encore.
On y entend un Requiem de Mozart à vous donner envie de mourir. In pace.
La grande ville n’en peut plus d’être grande. Alors, elle fait des petits trucs rigolos que personne ne comprend.
C’est pour rire. Parce qu’elle veut tout. C’est une sorcière : elle sait tout. C’est une ogresse : elle dévore tout. Mais elle mange salement.
Il y fait chaud et froid simultanément : dans la rue, c’est glacial et trois secondes après, moiteur bangkokienne irrespirable. La vieille femme ne transpire plus. Elle souffle le chaud et le froid.
Parfois, elle se mire elle-même dans les miroirs de sorcière et se fait peur !

Dans la grande ville se côtoient tous les pays, toutes les couleurs, toutes les misères et les richesses. La vieille femme contient le monde et entasse sur les côtés le non-décoratif.
Je ne l’aime plus. Elle n’aime personne.




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Denis
Denis
il y a 3 années

Très chouette ton texte, ma sœur, il m’a fait sourire.
Je n’aime pas les villes. Cette année, je suis allé une fois à Bordeaux … et par obligation.
Mon rêve est de vivre à la campagne, pas plate, il me faut des petites collines et une petite rivière aussi (je ne suis pas pêcheur … enfin on se comprend).

Jaja
Jaja
il y a 3 années

Parfaitement croqué, merci !
(On n’aurait pas trop osé s’approcher d’une telle métaphore, mais vous, vous avez le droit!?)
Justement noté, les grandes villes ne servent effectivement qu’à une chose : entasser le vivant.
Et dans ce bric-à-brac de bâtiments croupiers, lumières maquillées, silhouettes fléchettes, j’ai toujours l’impression de gagner un tour de manège. Tant que le tournis est supportable…

Jaja
Jaja
il y a 3 années
Reply to  TempesduTemps

Oui, certainement moins agressé qu’ailleurs dans ce Tôkyô entrepôt de routes gens bâtiments trains marchands modes marchandises écrans, car tout est en “ordre”, si fortement lissé, silence.
Et, coincée entre les étagères, cette part d’ombre pour liberté.

Fegg
Fegg
il y a 3 années

Les villes : ne plus jamais y vivre, j’ai donné. Mais y passer, pour vérifier (que ça existe, qu’on n’y habite plus, qu’il y a encore là quelque chose à saisir, encore humain). Les villes sont une maladie. Tes photos énigmatiques et belles.

Jaj
Jaj
il y a 3 années

J’ai oublié l’essentiel : excellente photographie, ces deux gamins qui courent après leur chorégraphie, bravo!

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