La rêveuse

Le rêve : être une rêveuse ! Dans une autre vie peut-être…

Spécial dédicace : à ma sœur, Nana la rêveuse

Encore un regret ! Celui-ci est de taille : voilà l’aveu, tout cru tout nu : j’aurais aimé être rêveuse
J’ai beaucoup d’autres regrets, j’en ai parlé : les origamis, ne pas savoir plonger, ne pas avoir persévéré en musique, les aurores boréales… Des gros, des petits, des moyens, des cocasses (le plongeon, franchement !).
Tout part d’un souvenir, d’un rêve, enfin les deux mêlés : la voix de ma mère qui dit à ma grande sœur : ” Mais enfin, Anne, peux-tu cesser un moment d’être dans la lune ? ” . Et je revois le visage de ma sœur, étonnée par cette question, avec l’air justement de quelqu’un qui revient d’un voyage. La lune, peut-être pas mais loin… Partie loin du monde présent, partie dans son rêve.

 J’ai aussi entendu cette pièce de Marin Marais que j’aime tant ! Toujours est-il que le souvenir de ma-sœur-dans-la-lune et cette musique me donnent à penser. J’étais une enfant assez calme, émotive mais calme. Moins turbulente que mon frère et ma sœur mais pas rêveuse.
Trop attentive aux alentours : tout ce qui se passe est captivant. Je n’ai pas un instant de répit : j’écoute, je déchiffre, je guette, j’épie. Aux aguets, toujours.
Je n’ai pas le temps de rêver. Il faut tout comprendre ! Le monde est si compliqué. Même jouer n’est pas simple. Il y a des règles.
Ça prend un temps fou d’anticiper les réactions des uns et des autres : le contentement de la maîtresse, la colère de Papa, la joie de Maman devant son crapaud… Être attentive à ce point ne laisse pas de place à la rêverie. Souvent au delà de la vigilance, c’est l’inquiétude qui règne : qui conduira le camion qui nous emmène à l’école ce matin ? Si c’était Adrien, le petit soldat dont je suis amoureuse ? Et de quelle humeur est la maîtresse, ce matin ? Et cette fille qu’on aime pas trop, va-t-elle être gentille ? Où est mon petit frère, dans la cour de récréation ? En train de se battre avec un costaud ? La maîtresse a mis du rouge à lèvres : est-elle amoureuse ? Ah c’est l’heure de la récitation : je la sais par cœur (Ô Verhaeren, ô Maupassant) mais j’ai le trac quand même. Et puis les leçons de piano où il faut penser à tout : le doigté, les dièses, les deux mains.
C’est drôle, je n’aime pas les chiffres mais j’adore le solfège.
Et la grammaire, c’est merveilleux l’analyse logique et la grammaticale. Mais il faut toujours être bien là, réfléchir, comprendre.
Depuis le moment du réveil jusqu’à l’endormissement, une tonne d’interactions entre les gens qu’il faut capter (les regards, les gestes), un million d’informations visibles ou invisibles à ne pas rater, une curiosité insatiable : pas de place pour le rêve. Je ne m’échappe jamais de cette vie réelle sauf par la lecture.
Oui, j’aurais aimé être rêveuse. Mais je suis née pour être, sans répit, présente au monde. C’est ainsi.

Une gratitude profonde pour Marin Marais qui me permet, l’espace de quelques minutes d’être cette Rêveuse qui s’absente dans sa mélancolie.

 

 

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