Vous parler de Dénie le dur *1 de D. C. Barth est difficile : l’homme qui parle est JE, il est Tu, il est Il. Il marche, multiple. Et une phrase de Joyce me vient : L’accident est le portail qui mène à la découverte. Sa carte est faite de roches et de mer, de chemins et de plantes, de vide et de plein. Sa carte est pleine à craquer de mots fous et beaux, de sentes parcourues à pas de marcheur tantôt forçat tantôt badaud. Mais toujours, toujours la puissance des terres déchiquetées, de la lumière et du verbe possède le marcheur : lui seul connaît sa destination qui est sans doute… la marche en elle-même. Les trois règnes pour guide : animal, minéral, végétal.
Je marche, suis mon pied, ma chaussure questionne le dur du rocher, gras de la terre, glissant / d’herbe mouillée,
La mer est noir d’ébène, floquée d’oxyde de cobalt, pluie et tempête ont violenté l’obscurité, on rêvait / d’assassins et de portes détruites,
La mer est rouge cardinal, on dirait du sang frais, elle attaque furieuse une roche bleutée, / entre bleu roi et bleu marine, toute mâtinée de bleu acier,
Elle frappe, grandes vagues immobiles, gicle, geysers de lave incandescente, figés,
Des îles noires apparaissent, disparaissent,
C’était la nuit. […]
Toutes les couleurs sont là, dans leur appellation précise, les densités des pierres et des rencontres. C’est riche, c’est plein à craquer… de solitude.
Ces mots sont bien trop petits pour parler du livre de D. C. Barth, trop petits pour parler des montagnes et de la mer, des villages et des pensées. Un dernier pour la route, extrait de Montjoies, cinquième partie du livre :
Les pierres du village.
Ça laisse un peu songeur.
Ça plante un vide.
Et puis, une amie a un ami qui écrit : son pseudo Elvis D-Mo’ *2. Et chez lui, ça balance, ça pulse, c’est sonore, c’est tam-tam ! Voilà comment il danse dans Inspiration / Expiration :
HAÏKUS !!!
J’écris comme un fou.
Les idées viennent d’un peu partout.
HAÏ-QUOI !!?
J’écris et c’est comme ça.
Les idées viennent, je ne suis plus moi.
HAÏ-QUI !!?
Demande à Elvis c’est mon complice…
Car pour toutes les techniques d’expression poétique, il applique la tactique de l’instinct basic…
Une ode à la dérive, délivrance !
Je fais du hors piste.
Je prend des risques.
De fuite en suite lexicale.
Multivers en jachères.
Culture linguistique.
Bouture phonétique.
Un corps prend forme, il devient matière.
Matière à penser, matrice pour créer.
Explosion de vie et d’envie.
Cette suite lexicale s’affranchit de tous les codes.
La mode je la snob.
Et enfin, une autre amie – celle des quatrièmes de couv. de L’Herbe Bleue et de L’Oubli des étangs – m’envoie sous forme de petit livret dont elle a le secret (merci Hélène) la retranscription d’un échange entre Jean-Pierre Siméon et Adeline Baldacchino : La poésie comme forme d’objection radicale *3 : tout est essentiel dans cet échange ! Alors juste ça, qui m’a parlé :
[…] On se laisse absorber par cette surface du réel qui n’est que la pointe émergée de l’iceberg. Les poétes sont les vrais réalistes. On en fait toujours des rêveurs, des gens qui sont ailleurs, vous savez : « Ah, heureusement qu’on a des poètes pour nous faire rêver, etc. » Mais merde ! Non ! C’est tout le contraire ; les poètes sont entichés du réel, ils n’ont d’occupation que de répéter sans cesse que le réel n’est pas ce qu’on nous dit, ce qu’on croit ! […] Le réel est illimité , voilà ce que disent les poètes ! Que rien, ni un caillou, ni un visage, ni un geste, n’est monosémique…
Il faut que je m’arrête, que j’arrête cette « leçon d’inquiétude » ! Mais vous ne perdez rien pour attendre !
*1 : D. C. Barth – Dénie le dur – Éditions des Vanneaux, 2017 (L’Ombellie)
*2 : http://short-edition.com/fr/auteur/elvis-d-mo
*3 : Échange du 17 octobre 2015 au théâtre des Déchargeurs (Paris, 1er), publié dans la revue en ligne Ballast, décembre 2015