À mes amis photographes, avec admiration
La photographie est une brève complicité entre la prévoyance et le hasard. – John Stuart Mill
Pour moi, non photographe, toute photographie est un récit. Parce que j’écris, sans doute… Je ne peux rester dans l’œil : les mots arrivent et racontent. Peut-être que les photographes n’aimeraient pas ça…
Je crois que c’est Paul Ricœur qui dit que toute souffrance demande récit. Est-ce que toute photo appelle récit ?
En photographie, on ne capture pas le temps, on l’évoque. dit Bernard Plossu que mon ami photographe admire tant. Illustration parfaite ci-dessous :
Ce que je crois, c’est que la photo, c’est un rapport au temps. Et c’est peut-être là que nous jointoyons temps, récit et photographie. Passons au delà du cliché (!) de ce qu’on veut fixer, du temps épinglé comme un papillon. Allons dans le temps long, du moment où celui qui tient l’appareil a vu quelque chose qu’il a eu envie/besoin de retenir avec l’outil qu’il aime/sait utiliser. Quand une photo me parle, je me demande toujours : et lui/elle, les photographes, qu’ont-t-ils pensé, que leur est-il arrivé à ce moment-là ? Et c’est cette histoire qui m’intéresse, c’est autour de l’image, le rapport du photographe avec son sujet. Partir du réel, montrer autre chose, au delà du réel.
Alors mon récit dans tout ça ? Eh bien ceci, par exemple :
L’image représente et imite le réel. La photographie n’est pas une image et pourtant : “une image est une comparaison ou une métaphore qui vise à transcrire le réel par le prisme de l’imagination poétique. Il ne s’agit plus d’imiter le réel mais de lui donner un sens par un regard créateur.”
La langue latine a d’ailleurs senti cette ambivalence puisque « imago » désigne d’une part la représentation du réel, et d’autre part l’apparence, parfois trompeuse, de la réalité.*
φωτoς, photos : lumière, clarté – qui utilise la lumière.
γραφειν, graphein : peindre, dessiner, écrire – qui écrit, qui aboutit à une image.
Écrire avec la lumière : voilà !
Et pour vous cette chanson qui est pour moi la plus parfaite photographie/poésie/chanson :
Si on ne s’émeut que devant un palmier, c’est con, parce qu’il y a des jours où les platanes sont formidables. – Robert Doisneau
*Je suis ennuyée avec ces citations : j’ai fait un petit copié/collé et n’ai jamais retrouvé le texte source lorsque j’ai voulu donner les références. Que l’auteur me pardonne.
Petit P.S. : en 2011, j’avais écrit un billet sur les photos ratées, je me permets de mettre le lien ici :
Unephotoestunephotoestunephoto…
Je dis toujours que je photographie comme si j’étais aveugle. Impossible à expliquer mais c’est ça. L’instinct et le désir. La faim. Le récit vient après.
La lumière qui me traverse et l’architecture des lieux. Jamais le “joli”.
Belle citation de Doisneau !
Oui, très juste ! D’abord la faim et la lumière, même obscure… Ce n’est pas Evgen Bavcar (photographe aveugle) qui dira le contraire ! La suite appartient-elle aux regardeurs ?
J’ai aimé finir par cette pirouette de Doisneau.
Pirouette peut-être, mais parfait résumé pour essentielle vérité sûrement.
Seule la photographie sait faire de notre quotidien un ailleurs, presque sans lien avec le lieu dont on croit tout connaitre.
Et, modeste avis, si de récit il s’agit, c’est principalement de ce condensé poétique qui nous saute aux yeux.
Même le photographe ne l’avait pas vu! Un vrai boulot de magicien qui s’étonne de ses tours, condamne l’inertie, le figé sans raison, paradoxe!
Car, par magie d’un bouton pressé, lumière aspirée, chaque chose est condamnée à avouer sa raison d’être, sa culpabilité de beauté non divulguée. La dévoiler, c’est tout l’effort de sa profession.
Le fait de filmer ne permet pas de résumer cette exception, il se force à reprendre l’identique du flot.
La photographie, abrupte et radicale, rend le lieu orphelin, l’équipe d’un théâtre de palmiers, sans palmiers.
– “Dis, comment tu savais qu’il y avait un cheval dans la pierre ?”
– “je ne savais pas, c’est le cheval qui me l’a dit.”
Les “involontaires” dévoileurs de beauté, les “révélateurs “(!) de l’invisible à tous y compris eux-mêmes, magiciens inconscients de leurs larcins de lumière… Peut-être, peut-être. Même vous, semblez spectateurs des théâtres que vous créez.
Premier spectateur, au singulier, je n’inclus pas les autres photons penseurs.
Mais personne ne pourra contredire la force créatrice de l’appareil lui-même.
Après viennent les filtres du volontaire, du nécessaire.