Billet sur Blaise Cendrars en deux parties parce qu’une ne lui suffit pas !
Je faisais pour 8000 francs de miel par an.
J’étais riche.
Et je lisais et j’écrivais des vers. Les premiers !
Aimer est doux.
Rien faire aussi.
Nous étions couchés dans l’herbe
Et nous avions vingt ans.
Les épinards sont superbes !
Voici venir le printemps….
Note de bas de page : « Bien que cité deux fois, ce couplet n’est pas de moi. Tout le monde sait qu’il faut l’attribuer à Victor Hugo ! (Pierre Bertin, de l’Académie française, dixit.) »
Dans la bibliothèque, il y a six livres de Cendrars ; ils me viennent de mon père qui en était fou, édition Livre de poche (imprimés corps 8 à peu près…) sauf Au cœur du monde – Poésies complètes : 1924-1929 (Gallimard coll. Poésie, 1991) et Emmène moi au bout du monde Folio, 1972. Je me suis donc arrimée à L’Homme foudroyé, Livre de Poche, 1960 avec des lunettes loupes. Et n’en reviens toujours pas. L’homme qui disait à 23 ans « je trouverai ma langue, mon style » a tenu parole même si parler d’un style à son propos est réducteur. Ce grand lecteur de dictionnaires, ce polygraphe à la palette infinie, ce conteur au lexique fou – et voilà que comme lui, j’énumère – est possédé par le rythme. Il y a toujours urgence même si c’est pour contempler. Une urgence souvent aspergée de violence :
– une violence de la vie : Cendrars n’est pas tendre avec les mères et de nombreuses femmes maltraitées ou mortes jonchent ses écrits
– sa propre violence : dans MORAVAGINE, on lit MORT, RAVAGE et VAGIN. C’est un livre terrible
– la violence des guerres, les blessures, la mort et le sang : il y laisse un bras, en 1915
Et pourtant, combien il aime la vie et les femmes, cet homme! D’un amour fou, passionné, excessif. Il la dévore, la renifle, la mange, la boit, la regarde… et parfois, comme le dit si bien Edmond Jabès, Regarde vivre le mot / Regarde vivre les mots / Et puis, écoute.
Mais c’est l’olfactif qui l’emporte. J’ai été littéralement enivrée par ce chapitre de L’Homme foudroyé consacré aux odeurs : « Quand on a franchi Gibraltar, cela sent comme chez nous. La Méditerranée sent l’armoire à linge et le placard à confitures. Les nuits de pluie, l’air y est fruité… », odeur de « bois de pin enflammé et le four à boulanger », un endroit sauvage près de Marseille « d’où montaient, la nuit, comme d’une cassolette, le baume des pins et les bouquets de lavande, des romarins, du myrte et des genêts »…
Le chapitre consacré à Marseille est une splendeur, on y comprend que Marseille est et doit rester un mystère :
Je n’ai jamais habité Marseille et une seule fois dans ma vie, j’y ai débarqué descendant d’un paquebot, le d’Artagnan, mais Marseille appartient à celui qui vient du large.
Marseille sentait l’œillet poivré, ce matin-là.
Et ces portraits d’hommes et de femmes, du grand et du petit monde, des gitans, des artistes… Vous verrez… M’étonne pas que Hugo Pratt ait fait se rencontrer Corto Maltese et Blaise Cendrars !
Pour la musique, le choix était simple : Cendrars jouait du piano avant de perdre son bras. Et dans L’Homme foudroyé, on trouve quatre rhapsodies gitanes… J’y reviendrai. En octobre 1923, Cendrars a participé à l’aventure d’une “fantaisie négrico-cubiste” donnée au Théâtre des Champs-Élysées. Les noms sont prestigieux : composition de Darius Milhaud pour 17 instruments, livret de Blaise Cendrars, décor de Fernand Léger et chorégraphie de Jean Börlin pour les Ballets Suédois. (Avant ce choix, j’avais désespérément cherché un prodigieux chanteur roumain, Nicolae GUTSA dont j’ai un disque : pas trouvé sur la toile sauf ça : http://www.djangostation.com/La-grande-voix-tsigane-de-Roumanie,1288.html)
Alors…
À suivre…