La première fois que j’ai vu et entendu le Quatuor Akilone, j’ai ressenti un choc : ces quatre filles avaient un son à elles, une précision parfaite et un souffle intense. Je me suis dit “elles iront loin”. Elles viennent de remporter le concours international de Bordeaux. C’est affreux les concours : on a mal au cœur pour les éliminés. Mais que de beaux moments !
Bien avant d’assister à ces concerts, j’avais le projet de faire un billet sur un souvenir de lecture : je les revois, ces quatre livres d’un assez vilain jaune orangé. Je revis les moments magiques de cette lecture vieille de … Je connaissais Lawrence DURELL grâce à Cefalu et Citrons acides. Je connaissais la passion de l’Anglais pour la Méditerranée – comme souvent avec les Anglais. La bibliothèque parentale contenait tout Cendrars, Miller, Durell et tant d’autres ; il n’y avait qu’à se servir !
Mais les quatre dont je parle, je me les suis achetés un par un, entre 9,90 NF (nouveaux francs pour les jeunes) et 13,50 NF : Le Quatuor d’Alexandrie. J’ai vécu avec ses personnages pendant des mois, Justine, Balthazar, Mountolive et Clea. Je les ai aimés ou détestés, eux et tous les autres, j’ai souffert avec eux, Nessim et Narouz les deux frères, Leila leur mère, Pursewarden, Melissa… Parce que ce sont des êtres de chair et de sang. Ils sont drôles ou tragiques, doux ou durs. Une architecture complexe pour quatre livres en strates, chacun portant le nom du narrateur de la même histoire, de liaisons dangereuses et/ou heureuses. Quatre points de vue cousus par un fil – pas blanc du tout – qui relient les êtres, les entortillent ou les libèrent. C’est riche, touffu, baroque et sensuel surtout.
Sans compter l’héroïne des quatre livres : la ville, Alexandrie.
Cinq races, cinq langues, une douzaine de religions ; cinq flottes croisant devant les eaux grasses de son port. Mais il y a plus de cinq sexes, et il n’y a que le grec démotique, la langue populaire, qui semble pouvoir les distinguer. […] Les amants symboliques du monde hellène sont ici remplacés par quelque chose de différent, quelque chose de subtilement androgyne, tourné vers soi-même. L’Orient ne peut jouir de la douce anarchie du corps car il est au-delà du corps. Justine, p.14
Alors, je pense à l’écriture musicale du quatuor à cordes : les voix à l’unisson ou dressées les unes contre les autres, des discours qui s’entrecroisent, se mêlent, se confondent ou dissonent. Une construction folle de cordes et d’archets. Les instruments qui s’apostrophent, se répondent. Et parfois, un pianissimo qui fait mourir la phrase.
Je revois Justine chez sa couturière, assise devant les grands miroirs à multiples faces, et disant :
– Regarde! Cinq images différentes du même sujet. Si j’étais écrivain, c’est ainsi que j’essaierais de dépeindre un personnage, par une sorte de vision prismatique. Pourquoi les gens ne peuvent-ils pas voir plus d’un profil à la fois ?
Mission somptueusement accomplie, Mister Durell !
Les 3 pièces de Stravinsky, données par 5 des quatuors en compétition à Bordeaux, ici jouées par le Quatuor Amati, nous racontent aussi une histoire. Il était une fois… (la prochaine fois).
Ah tant mieux ! J’avais compris que le quatuor Akilone avait été éliminé au second tour…
Beaucoup aimé aussi Durrell lors de la lecture il y a quelques années.
Merci pour ce rappel.
Non, non ! Elles ont passé le 2ème round (que je n’ai pas entendu) comme des grandes ! Pour Durell, me suis régalée plus récemment de sa correspondance avec H. Miller. J’aime leur appétit.
Le Colosse de Maroussi et Anaïs Nin… Tout un pan de la littérature découverte il y a une trentaine d’années… A relire un jour peut-être ? “Quand je pense à tous les livres qu’il me reste encore à lire (et à relire – rajouté par VHM) j’ai la certitude d’être encore heureux.” disait Jules Renard.
Je pense très souvent aux premières lignes du Colosse : c’est d’une beauté totale. J’aime moins Anaïs Nin. Mais les goûts ne se discutent ou alors en argumentant tranquillement. Ça vieillit moins bien, je trouve. Oui, il en reste tant et moi, la pessimiste-verre-d’eau-à-moitié-vide d’ajouter : on aura jamais le temps !
Akilone a donné un Mendelssohn ce matin à la remise des prix: temps qui suspend la réflexion et les émotions. Jamais entendu avec une telle intensité, présence, et élégance. Rien de convenu, aucun système automatique, la plus pure jouissance de l’interprétation telles qu’elles la conçoivent. Unanimité manifeste d’un public bouleversé.
Les lectures vont donc suivre…… merci!
Eh bien, ce devait être un moment fort pour que toi, l’exigeante et l’oreille/cœur si affûtés, tu en parles ainsi ! Essaierai de le trouver. Est-ce le n°2 qu’elles ont joué lors du premier round ? J’avais vraiment l’impression d’entendre un son inédit et de vivre un moment complètement nouveau. rarement ressenti ça.
Et pour les lectures, oh oui, ça continue encore et encore.
Je suis tombée par hasard sur ce billet… Et je dois dire que je suis touchée de lire que vous ayez tant apprécié notre prestation à Bordeaux 🙂 merci pour vos mots d’émotion. Nous avons passé un moment exceptionnel dans cet auditorium, grâce à vous qui êtes venu nous écouter avec votre cœur !
Bien à vous,
Elise (2nd violon du quatuor Akilone)
Eh bien quelle bonne surprise ! La toile a du bon, parfois. Et je dois vous dire que je vous ai entendues mardi et j’ai senti qu’il se passait un truc spécial. Vous nous avez offert quelque chose de très pur et vrai, énergique et précis. Gardez ça, toujours, vous avez tout pour faire un grand quatuor. Il paraît (je n’y étais pas, hélas) que votre Mendelssohn de dimanche matin en a fait entrer plus d’un(e) en lévitation !
Merci, Elise d’être venue nous dire merci. (mes copines vont êtres jalouses !)