On n’en revient pas d’une phrase comme celle-là… Enfin moi, je ne m’en lasse pas. C’est une mélodie si forte en son propos. Et aussi un silence que l’on entend, une histoire de regards qui se tiennent, qui tiennent l’autre debout ou qui le tuent. Le regard ne mentira pas : on le voudrait vide mais il parlera.
La première fois que j’ai lu ces mots, il y a longtemps, j’avais compris le » j’entendrai » comme un » je comprendrai « . Mais le mutisme du regard m’a ramenée sur la bonne voie : il s’agit bien d’entendre avec son oreille, de percevoir l’imperceptible, ce que l’œil parle.
» Le regard est la grande arme de la coquetterie vertueuse. On peut tout dire avec un regard, et cependant on peut toujours nier un regard. » Stendhal De l’amour.
Eh bien, non, on ne peut nier un regard : Néron, lui, enlève à la femme qu’il convoite et qui en aime un autre, la possibilité de faire mentir ses yeux. Il entendra derrière le silence ce qui se dit entre les deux amants. Même si elle ferme les yeux, il entendra. Parce qu’en fait, il sait déjà.
Dans Britannicus la place accordée au regard est immense : il n’est question que d’yeux, de vue, d’image, de larmes.
Quoi ! même vos regards ont appris à se taire ?
Que vois-je ? Vous craignez de rencontrer mes yeux !
Voilà pourquoi sans doute, lorsqu’on veut cacher ses émotions ou bien les ressentir plus profondément, on ferme les yeux. Pour que ne s’échappe rien de ce qui nous habite, pour garder à l’intérieur de notre corps ce qui pourrait en sortir.
Ou alors, se transformer en statue, avec des faux yeux ou des yeux vides ou les deux.
NÉRON
Caché près de ces lieux, je vous verrai, madame.
Renfermez votre amour dans le fond de votre âme :
Vous n’aurez point pour moi de langages secrets ;
J’entendrai des regards que vous croirez muets ;
Et sa perte sera l’infaillible salaire
D’un geste ou d’un soupir échappé pour lui plaire
Britannicus – Jean Racine – 1669