On n’en revient pas d’une phrase comme celle-là… Enfin moi, je ne m’en lasse pas. C’est une mélodie si forte en son propos. Et aussi un silence que l’on entend, une histoire de regards qui se tiennent, qui tiennent l’autre debout ou qui le tuent. Le regard ne mentira pas : on le voudrait vide mais il parlera.
La première fois que j’ai lu ces mots, il y a longtemps, j’avais compris le ” j’entendrai ” comme un ” je comprendrai “. Mais le mutisme du regard m’a ramenée sur la bonne voie : il s’agit bien d’entendre avec son oreille, de percevoir l’imperceptible, ce que l’œil parle.

” Le regard est la grande arme de la coquetterie vertueuse. On peut tout dire avec un regard, et cependant on peut toujours nier un regard. ” Stendhal De l’amour.
Eh bien, non, on ne peut nier un regard : Néron, lui, enlève à la femme qu’il convoite et qui en aime un autre, la possibilité de faire mentir ses yeux. Il entendra derrière le silence ce qui se dit entre les deux amants. Même si elle ferme les yeux, il entendra. Parce qu’en fait, il sait déjà.
Dans Britannicus la place accordée au regard est immense : il n’est question que d’yeux, de vue, d’image, de larmes.
Quoi ! même vos regards ont appris à se taire ?
Que vois-je ? Vous craignez de rencontrer mes yeux !
Voilà pourquoi sans doute, lorsqu’on veut cacher ses émotions ou bien les ressentir plus profondément, on ferme les yeux. Pour que ne s’échappe rien de ce qui nous habite, pour garder à l’intérieur de notre corps ce qui pourrait en sortir.
Ou alors, se transformer en statue, avec des faux yeux ou des yeux vides ou les deux.

NÉRON
Caché près de ces lieux, je vous verrai, madame.
Renfermez votre amour dans le fond de votre âme :
Vous n’aurez point pour moi de langages secrets ;
J’entendrai des regards que vous croirez muets ;
Et sa perte sera l’infaillible salaire
D’un geste ou d’un soupir échappé pour lui plaire
Britannicus – Jean Racine – 1669
Merveille de condensé de tout ce que les sentiments nous font éprouver, et des cataractes d’émotions dans lesquelles Racine nous précipite, face à nous même par le biais de la tragédie.
Voir Nefertiti au musée de Berlin et rester sidérée, comme je le fus devant l’impossible absolu d’un masque vivant ( 3000ans) à la carnation insolente au regard troublant puisqu’un seul oeil a résisté au temps.
Merci, Claire de toutes ces observations offertes.
magnifique article ! merci Claire ! <3
Merci à toi, Marie, d’avoir entendu et d’être passée.
Nefertiti, et je pense aussitôt au Rêve d’Akhenaton, ce livre d’Andrée Chedid que j’aime tant, ce regard transparent, éthéré, loin des passions de Racine, ou au-delà ? Merci Claire pour ta page et ce beau texte, je n’ai pas relu Racine depuis les pensums scolaires (ah ces tirades interminables ânonnées !) et, grâce à toi, j’y reviens.
Mais oui, quelle belle association ! Livre magnifique, dégusté via la liseuse elle-même approvisionnée par une amie. Je n’en dis pas plus.
Racine était – même jeune -, est et restera une de mes passions littéraires la plus profonde.
En 2011 : https://lestempesdutemps.com/2011/09/thesee-met-les-voiles/
Le musique des mots, les alexandrins dits à voix haute… quant à Thésée c’est un mufle, si distrait qu’il en est suspect
.
Que j’aurais aimé dire ces mots : c’est de la musique !
Thésée fait vraiment n’importe quoi ! J’adore la version où il dépose Arianne sur l’île car elle a le mal de mer. Gag !