La Chambre claire : note sur la photographie

Beckett par Avedons
Pour l’ami photographe, un billet de 2010 et quelques propos sur La Chambre claire (commentaires intéressants)

J’ai déjà parlé, je crois, du livre magnifique de Roland Barthes : La Chambre claire : note sur la photographie. Je suis en train de le relire et me dois de partager cette intelligence et cette clairvoyance. Lumineux.

L’essentiel dans ce que dit Barthes, c’est que la photo est de l’ordre de “ce qui a été une seule fois” . Il cherche donc l’essence de la photographie du côté de l’irrévocablement perdu, elle qui renvoie à la dimension temporelle du “ ça a été ” .

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A. Kertész Homing ship

Autre notion fort intéressante que Barthes expose, c’est le punctum  : “ Le punctum d’une photo, c’est ce hasard en elle qui me point (mais aussi me meurtrit, me poigne) ”. Le punctum pique, déjà dans la photo mais surligné par le regardeur (que je préfère à spectateur car la photo, pas plus que la nature n’est un spectacle).

[…] Pour une fois la photographie rejoint l’intensité du souvenir et presque la réminiscence proustienne. Elle saisit, ici, ce que Lacan appelle “ le trait unaire ”, ce trait unique et inqualifiable qui est l’essence d’un être “ . Et c’est sans doute ce qui échappe si souvent aux amateurs, et qui me fait dire qu’une “bonne photo” est un coup de chance fantastique et ce n’est pas forcément une photo vraie, ce peut être un pur mensonge.

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Beckett, par Avedon (1979)

 

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Sakura, Philippe P. Pelletier, 2004

la photographie me dit la mort au futur. Ce qui me point c’est la découverte de cette équivalence. Devant la photo de ma mère enfant, je me dis: elle va mourir : je frémis, tel le psychotique de Winnicot, d’une catastrophe qui a déjà eu lieu. Que le sujet en soit la mort ou non, toute photographie est cette catastrophe.”

Allez, on rigole : Voulez-vous me prendre en photo avec mon chapeau ? – Ce serait plus facile avec un appareil photo ! Philippe Gelluck

P.S. : J’ai volontairement choisi d’autres photos que celles du livres de Barthes mais ce sont deux des photographes qu’il aimait. (Re)voyez d’urgence Le Cameraman de avec par Buster Keaton le Magnifique mais c’est une autre histoire.

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horus
horus
il y a 13 années

Merci à Claire de nous rappeler, par la voix de Barthes (ou plutôt l’inverse) cette excellente définition de la photo artistique : “ce qui a été et ne sera plus”. Où l’on comprend qu’un
magnifique paysage sous un ciel bleu immaculé ne peut donner une “bonne photo”. Magnifique paysage, certes, mais photo sans intérêt, tout au plus une carte postale réussie. Cela va sans dire mais
cela va mieux en le disant.

Pour qui s’intéresse à la photo, à l’image, au regard, au temps qui fuit et à la sensation que nous en avons, je confirme que le bouquin de Barthes est passionnant. Rien sur la technique bien
sûr, là n’est pas le sujet. Ecrit en un mois et demi (1979), il scrute pourtant profondément l’humain et même le corps social, ceci par exemple dans la conclusion :

“Ce qui caractérise les sociétés dites avancées, c’est que ces sociétés consomment des images*, et non plus, comme celles d’autrefois, des croyances ; elles sont donc plus libérales, moins
fanatiques, mais aussi plus “fausses” (moins “authentiques”) – chose que nous traduisons, dans la conscience courante, par l’aveu d’une impression d’ennui nauséeux, comme si l’image,
s’universalisant, produisait un monde sans différences (indifférent), d’où ne peut alors surgir ici et là que le cri des anarchismes, marginalismes et individualismes : abolissons les images,
sauvons le Désir immédiat (sans médiation).”

* les images ne sont plus le témoin de la société, à l’inverse, ce sont elles auxquelles la société se conforme comme à des modèles ! A l’apparition de la photo, certains l’ont déclarée
irréligieuse, voire diabolique ; ils doivent exulter dans leur tombe ! Quant aux musulmans…

Bon, d’accord, je me suis laissé entraîner, je suis limite hors sujet mais relisez-le une seconde fois et vous allez mieux comprendre : ça envoie du paté, non ? Si ça vous saoule, c’est parce que
vous n’avez pas lu ce qu’il y a avant, ou que vous n’avez pas lu mon astérisque*. Ou alors, c’est que ça ne vous intéresse pas (ne le dites pas à Claire, ça la peinerait.). Le prochain billet
peut-être ?

TempesduTemps
TempesduTemps
il y a 13 années

Waouhhhh, Horus, je vois que vous connaissez votre Chambre Claire fort bien. Mais le livre est si riche que les commentaires (et les paraphrases) risquent d’abonder. Je crois savoir que la photo
vous intéresse et que vous savez vraiment regarder mais votre réflexion me dit que votre intérêt va bien au delà, dans le rapport des sociétés aux images et là… Faudrait avoir du temps,
beaucoup et aussi, de (re)lire nos classiques-modernes, Baudrillard entre autres… Passionnant aussi le débat du rapport au temps dans la photo et la peinture. Ouh la la, je vais aller dormir un
peu, je crois. Trop d’image tue l’image, non ?

Merci beaucoup beaucoup de vos lectures et de votre savoir. Ouvrez l’œil et le bon, hi hi hi !

Ed Sedgwick
Ed Sedgwick
il y a 13 années

non, aucune prétention à la réalisation du cameraman. Vous avez raison, il doit tout à BK. C’était juste pour le plaisir de parler de Marceline. N’est elle pas charmante quand au téléphone elle
dit “my date’s off, and..” ?? 

 

TempesduTemps
TempesduTemps
il y a 13 années

Faut vraiment que je le revoye ! Une idée de programmation pour certain cinéclub ? Mais, je vous fais confiance, Ed : Marceline doit être charmante…

Philippe
Philippe
il y a 13 années

Ah oui, limpide et juste cette vue sur l’image photographique depuis La Chambre Claire.

J’aime toujours relire ce livre quand je le retrouve dans ma chambre en France.

Cette notion de punctum m’avait plu car elle lie d’emblée toute image à son “regardeur”, dans un va et vient forcément sentimental, qui passe ou ne passe pas.

L’artisan-photographeur sait comment préparer la table, tamiser son soleil et caresser ce qu’il pressent de beau mais seul un instant idéal, manipulé par la machine, saura dessiner un lapin dans
les yeux du soudain curieux.

Magique ? Oui simplement magique: l’évanescent survit, la réalité enfante un irréel plus crédible qu’elle-même avec le temps car toute preuve a disparu.

Et Barthes ne peut être plus juste en écrivant ” la photographie me dit la mort au futur”.

Photographier ce n’est pas écrire avec la lumière, c’est éteindre la lumière sur ce que l’on a vu.

D’où tout l’amateurisme des couchers de soleil, la lumière est déjà éteinte ! 😉

[merci pour cette image en si bonne compagnie (Kertész, Avedon, que du bon…) d’une performance de danseurs butoh au printemps 2004 à l’ambassade de Belgique à Tokyo avant sa reconstruction.
J’avais oublié cette image…]

TempesduTemps
TempesduTemps
il y a 13 années

Votre chambre en France, une “chambre noire”, non ? Vous écrivez trop bien sur la photo : l’instant idéal, l’œil complice de la machine. Je reste muette devant la beauté de la phrase sur la lumière
: “éteindre la lumière sur ce qu’on a vu”. Le blog a mangé la petite phrase où je disais que j’aimais beaucoup la photographie de Philippe Pelletier, en général, hein ? et celle-ci en particulier,
bien au chaud dans mes soutes. Merci de votre grain (de sel)

Edward Sedgwick
Edward Sedgwick
il y a 13 années

…avec Marceline Day dans le rôle de la jeune Sally, délicieuse avec son petit bibi (et délicieuse aussi quand elle ne le porte pas). 

TempesduTemps
TempesduTemps
il y a 13 années

Salut, Ed, et pardonnez moi d’avoir attribué Le Cameraman à Buster himself : le film est de vous, bien sûr !!! Et quel film Les cinéastes doivent-ils être de bons photographes, selon vous ? Et les
photographes de plateau : quel métier ?

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