Il faut que je le dise : je n’aime pas Aragon (ni Breton d’ailleurs pour d’autres raisons). J’ai aimé quelques lignes chez eux, parfois même un livre entier : Najda, bien sûr. Et Est-ce ainsi que les hommes vivent ? évidemment ! Petit bémol si j’ose dire, à quelques exceptions près (voir vignette musicale), j’ai un petit souci avec les poèmes qui sont presque plus beaux lorsqu’ils sont chantés que lus.
Mais dès le début – il y a donc très longtemps ! – j’ai éprouvé une sorte de défiance à l’égard de cet écrivain. Et si j’analyse maintenant cette défiance – que je mets sur le compte d’une intuition – le premier mot qui me vient à l’esprit est : POSTURE.
Ce n’est que bien plus tard que j’apprendrai toutes ses querelles, ses ruptures avec de nombreux écrivains. De toutes façons, ils se chamaillaient tous ! Je n’ai jamais bien compris le réel engagement politique d’Aragon. Il y a tant de rebondissements ! Et c’est d’un intérêt tout à fait limité, pour moi. Soubresauts d’une époque.
C’est dans le livre de Bernard Noël, ARAGON (Éditions des Vanneaux, s. d.) que j’ai trouvé tous les éclaircissements à mon malaise.
Aragon est certainement l’écrivain qui s’est inventé le plus de couteaux, mais il avait une telle aisance dans leur maniement que la rapidité de son geste en voilait l’effet en le faisant passer pour autre chose. […]
Comment, pourquoi, se sent-on obligé de s’engager contre soi-même ? ajoute Philippe Sollers dans un numéro spécial des Lettres Françaises de 1992.
Aragon est un séducteur, assurément, et presque comme un pléonasme un ” roué ” dit Bernard Noël. Les menaces de suicide, les destructions de manuscrits, le choix contestataire du surréalisme, apparemment décisif, ne pouvait être que provisoire parce qu’en s’installant dans l’opposition aux valeurs acquises, les surréalistes s’installaient dans une illusion. Bernard Noël
Enfin, celle sans qui il se serait tu … Est-ce vraiment Elsa qu’Aragon aime à la folie ? Ou est-ce l’Amour ? Un amour idéalisé ? Un ” amour construit ” comme dit Bernard Noël.
Elle écrit quand même ces mots : Je ne te reproche pas de vivre depuis trente-cinq ans comme si tu avais à courir pour éteindre un feu. Dans ta course, il ne faut surtout pas te déranger ni t’emboîter le pas, ni te suivre – quel que soit l’ouvrage, aussi bien couper des branches sèches, il ne faut surtout pas s’aviser de faire quoi que ce soit avec toi, ensemble…
Et ces mots terribles : Même ma mort, c’est à toi que cela arriverait.
P.S. : Juste pour rire : l’Aragon est un des plus beaux pays qui soit. J’ai failli proposer Aragon et Castille de Boby Lapointe mais il ne faut pas exagérer !
Le mentir-vrai pratiqué savamment par Aragon, admirable ou detestable, m’a donné pendant mon adolescence l’illusion d’être née à une bonne époque. Tenue par son audace téméraire, le démon des mots, mais aussi plus sagement par ses critiques d’art dans la très attendue parution bi-mensuelle des Lettres Françaises qu’il dirigeait, je me renierais en disant ne pas l’avoir aimé.
La beauté inexprimable de l’autre Aragon est ,elle, bien réelle, avec ses Pyrénées vertigineuses, ses eglises mozarabes et romanes au détour d’un torrent et ses loups que je rêve d’entendre.
Merci Claire pour ce billet documenté, mais quelle cruauté d’évoquer Bobby Lapointe et ne pouvoir l’écouter.
Oui mais tout ça concerne l’être et individu auteur, et pas son oeuvre. On peut ne pas aimer Aragon mais aime lire Aurélien, non ?
Ah zut ! Un des livres que je n’ai pas lus… Donc, je ne peux que me taire. Par contre, je ne relirai jamais La Diane française, Les Yeux d’Elsa, Le Crève-coeur : quel ennui ! Et pour vous qui appréciez moyennement la poésie, je crois que la sienne vous en dégoûterait à jamais !
D’accord avec vous, ne jamais mélanger l’homme et l’œuvre : j’ai envie de m’éloigner des deux.
Bizarre, et rassurante ignorance, j’ai toujours eu ce sentiment pour A. : du bel ouvrage, sans pleur à tuer.
L’écrivain, l’obligé d’un gouffre jamais écrit?
Un peu trop de pose autour des mots… parfois, bien sûr, des éclats, des éclairs. Mais un manque terrible – pour moi – de fulgurance. Un ” trop ” d’assurance dans le bien fait.
Bienvenu au club, cher ami.
Merci, j’y suis!😎