Bordeaux

La ville que je ne peux dire mienne

J’ai mis du temps à l’aimer, cette ville ! J’avais des circonstance atténuantes : j’arrivais du paradis et elle, elle dormait dans ses draps gris. Elle non plus ne m’aimait pas. Je n’en aimais que le fleuve auquel elle tournait le dos. Mon amour pour ce fleuve était dû au fait que c’est sur lui, grâce à lui que je la quittais, autrefois, pour revenir au paradis.

Le Ville de Bordeaux

Et puis il y eut les longues années lycée durant lesquelles l’intérêt majeur de la ville était… ses bistros ! On y passait beaucoup de temps, on y buvait beaucoup de cafés, on y fumait beaucoup de cigarettes, on y refaisait le monde. Déjà la poésie était là entre deux fous-rires et deux crises de larmes. Bordeaux, c’était les bistros, les cinémas. Mais la beauté de la ville passait très largement au dessus de ma tête d’adolescente. Je me souviens des énormes rats de la rue Foy et des stocks américains sur les quais où l’on trouvait de vrais pantalons à pont.
Il y avait bien ce parc à traverser, le merveilleux Parc bordelais mais là, on était en banlieue, avec les bus verts (ceux de ville étaient rouges).
Musique de l’époque dans mon coin :

 

[Souvenir : en traversant une partie de l’Atlas marocain à pied – le bus était tombé en panne – je devisais gaiement avec deux belges : ils étaient convaincus que BORDEAUX devait son nom à la quantité de bordels présents dans la ville !] Puis la jeunesse et les fêtes et mai 68 : nous bougions, Bordeaux était impavide, immobile sous sa cape noire.
Je me suis absentée longtemps. Puis mon travail au Salon du Livre, lorsqu’il avait lieu au Hangar V, (salut à Danièle Martinez) et mes échanges avec les auteurs accueillis ont changé mon regard. Je me souviens de Sollers disant un soir : c’est une lumière toscane sur une ville du Nord.

 

Cette statue, je l’ai escaladée un soir d’ivresse et m’y suis planquée un long moment pendant que les ami(e)s me cherchaient. Elle se situe sur une des plus belles places – à l’italienne – de la ville, non loin de l’excellente librairie La Machine à Lire, à deux pas du fleuve. Et nos trois M : Montaigne, Montesquieu, Mauriac…
Et maintenant, elle fait sa fière : elle a son miroir d’eau, ses trams, ses ponts… Elle devient (trop) attirante, “attrayante” disent les agents immobiliers qui se frottent les mains ! Il va falloir s’y faire : elle est devenue belle, l’endormie, elle s’est réveillée, elle devient hyper-active ! Des bistros et des restos , il y en a partout. On a un auditorium merveilleux.
Incorrigible nostalgique, je pense à nos cinémas d’art et d’essai qui essaimaient le centre et la banlieue : il en reste deux, un au centre et un à Pessac, le courageux Jean Eustache. Difficile de voir un Kurosawa ou un Dreyer aujourd’hui.
Mais la musique de mon Bordeaux d’autrefois, tenez-vous bien, ce sont eux :

 

 

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marie paule farina
marie paule farina
il y a 6 années

beau billet, Claire et bel ensemble. Un regret pour moi aujourd’hui: n’avoir pas su découvrir Bordeaux où pourtant je suis passée tant de fois: ma soeur habite Mérignac, mes parents ont vécu au Verdon sur mer. Trop tard maintenant!

Stephane Moreaux
Stephane Moreaux
il y a 6 années

La statue, ce n’est pas celle-la…ce sont les trois graces qui font face au miroir d’eau.
Si tu as des doutes demande au conducteur de la moto!
Tout cela est si lointain et si proche…

Jaj
Jaj
il y a 6 années

Beau billet, merci pour cette (re-)visite en ville, amicale main pour traverser ce qu’il y avait et ce qu’il y a, âge.
Et drôle! “BORDEAUX devait son nom à la quantité de bordels”… Mince, j’ai manqué l’essentiel, Grand Théâtre, la maison mère?
Pour finir, heureux de voir que certains lecteurs nouvellement abonnés sont des plus attentifs à l’alternative-vérité des souvenirs. Ils seront remerciés en feuilles d’algues séchées format A4 (si ça existe, comme la vérité).

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