Déjà le côtoiement des couleurs est fabuleux : mauve pour les pétales, jaune pour les étamines et rouge pour les stigmates, rouge bien sûr.
Ce sont ces stigmates qui vont être triés, on va les séparer des fleurs et des étamines et les placer soigneusement dans un récipient. C’est un joli travail, répétitif certes, mais comme souvent dans les “façons” – c’est ainsi qu’on appelle les travaux des vignes – permet la présence à soi et aux autres ; c’est un moment de partage, d’échange. Les mains s’activent, la parole aussi.
J’ai longtemps cru que la couleur du riz de la paëlla était due au safran. J’ai appris que c’est le curcuma, ce cousin du gingembre aux nombreuses vertus qui donne sa superbe couleur ! Il est d’ailleurs souvent mélangé au safran qui est plus rare donc plus cher. Les chercheurs d’or du VRAI safran savent déjouer cette supercherie !
Le safran serait originaire de Crête. En effet on trouve sur le site d’Akrokiri (dans l’île grecque de Santorin) des fresques parfaitement évocatrices à ce sujet. On y voit en particulier de petites touffes de safran cueillies par des femmes. Ces fresques sont les premières représentations botaniquement exactes de la plante. Elles ont été recouvertes, et donc protégées, par des cendres volcaniques issues de l’explosion de l’île datée de 1650-1500 avant J-C.
Depuis toujours, le safran a des multiples usages, en Orient : il servait à écrire des lettres d’amour (j’aime cette idée), à se maquiller, à se soigner ; pris en petite quantité, il est euphorisant ; au delà, on dit qu’il est il est létal. Homère, dans l’Iliade, décrit Eos (l’Aurore) vêtue de son krokopeplos, le manteau de crocus « Eos jaillit des flots habillée de safran ». Aussi précieux que la pourpre du murex, il servait aussi à teindre les vêtements. J’y pense toujours quand je vois les moines boudhistes : mais aujourd’hui, c’est le curcuma qui est utilisé. Sacré safran et inversement.
Pour en finir avec les stigmates, dans un texte à paraître, j’écris :
L’Atlas, c’est le sang du monde, veines ouvertes.
Chaque soir, le monde y éteint son regard.
Et un texte sacré dit : “Le sol du paradis est fait d’une fine couche de musc et de safran”.