Je me disais ça : j’ai tellement de souvenirs que je dois être très vieille ! Sans doute parce que j’ai aussi beaucoup de mémoire (faudrait peut-être que je défragmente). Mais quand même… Tous ces souvenirs alors que par moments, j’ai 17 ans. Et dans cinq ans, si j’y arrive, il y en aura encore plus. Mon corps me dit bien l’âge que j’ai : lui, il ne raconte pas d’histoires, pas assez d’ailleurs. Je l’aimerais plus oublieux.

Tous ces souvenirs font une farandole insensée. Une toute petite fille côtoie la copine de lycée, le petit ami – celui du premier baiser – donne la main à la prof d’espagnol adorée, ma mère en robe du soir joue au tennis avec mon instructeur d’auto-école (lequel ne pouvait comprendre que pour moi droite et gauche étaient indifférenciables, pour la conduite, hein ?), le Mont Toubkal se retrouve à Kamakura et Dubrovnik jouxte Leptis Magna, les vendangeurs se baignent dans le Yang-Tsé Kiang, Montaigne boit un coup avec Cendrars. Un puzzle géant.
Alors, mon ami me dit : c’est pour cela qu’on a inventé la maladie d’Alzheimer. Nous en rions d’autant que lui est très peu encombré. J’ai de la mémoire pour deux mais n’ai pas accès à ses souvenirs. Parfois, il cherche et je ne peux l’aider. Parfois, je peux quand j’y suis présente.
Ce que je sais, c’est qu’il y en a de plus en plus et que le grand ménage se fera un jour. Je sais lequel. En attendant…
Photo de Une et ci-dessus voir : https://www.tripalbum.net/
J’aime la mémoire farceuse : celle qui fait surgir (bonjour l’inconscient) aux moment les plus inattendus, une image, une voix, une couleur, une parfum, une musique presque toujours. Cela m’arrive souvent. Je me demande où était stocké ce souvenir qui ne vient jamais seul ; il a une traîne, comme le ciel *.
Pourquoi certaines personnes ont-elles une mémoire si pleine et vive ? Peut-on se débarrasser des souvenirs encombrants ? Comment bien vivre le présent quand tout fait référence ?
J’ai plus de souvenirs que si j’avais mille ans, disait Charles Baudelaire. Et zut, le poème s’appelle SPLEEN !

*Un ciel de traîne est un état du ciel observé après une perturbation. Il se montre particulièrement changeant et peuvent s’y succéder des averses, des éclaircies et des passages nuageux, voire de l’orage et de la foudre
C’est vrai qu’un bon coup de balai, de temps en temps, ferait du bien.
Mais nous sommes faits de nos souvenirs … même de ceux qu’on a oubliés.
Oh comme c’est vrai ! Et parfois même des souvenirs des autres, ceux des parents par exemple… Quand les parents parlent de leur enfance, cela prend place dans la mémoire de l’enfant… Je me souviens – parce qu’elle me l’a raconté, bien sûr – que Grand-Père Antoine appelait sa fille (maman) Rat gris. Les souvenirs oubliés sont pour moi comme ces tombes abandonnées.. Allez, pffffuitttt, j’attrape le balai !
En cas de possibilité d’oubli, d’effacement (voir SF, ou accident/maladie), et pour philosopher, ou mieux pour ratiociner (je viens d’apprendre ce mot, et il me plaît), serions-nous prêts à perdre une partie de nous-mêmes ?
Ta question est drôlement subtile et effectivement très philosophique… Pour la 1ère partie – car je vois 2 questions, en fait – je dirais que la possibilité d’effacer serait la bienvenue pour tous les mauvais souvenirs. Et ce n’est pas ratiociner (joli mot, en effet) que de parler de perte… Mais – 2ème partie de la question – il faudrait définir cette partie que nous perdons. Je ratiocine. Oh, toi, tu dois lire un truc bizarre en ce moment !
Bon, de la Fantasy, ça t’étonne ?
Les Messagers des Vents de Clélie Avit.
Je ne pose pas d’avis ici, mais c’est bizarre, sans l’être, c’est de la Fantasy.
J’adore les souvenirs, et je n’ai pas de mémoire, mon passé disparaît dans une drôle de brume.
Alors parfois je me parle à voix haute pour les faire ressusciter, je déroule ce petit fil et ça marche (souvent).
Et merci pour le ciel de traîne, j’avais oublié (justement…)
Depuis quand as-tu remarqué cette “disparition” ? As-tu – volontairement ou non – fait l’ardoise magique ? Tu convoques le passé et il revient. Donc, il est là, dans un nid de mémoire qu’il faut réchauffer, souffler dessus doucement pour le ranimer. Mais que lorsque tu en éprouves le besoin ou l’envie, hein ?
J’aime toujours quand ils parlent de “ciel de traîne” à la météo…
Depuis toujours (la disparition). Mais oui tout est stocké quelque part, une richesse enfouie. L’idée de l’ardoise magique je l’aime bien.
La photo de fumeuse de cigarette est sublime!
Quant à la mémoire des souvenirs. Je te dirai que dans mes ateliers d’écriture cela est un thème majeur mais tout autant dans les cours que je donne et ai surtout donnés sur le vieillissement, mais ce sont deux approches différentes.
Pour les premiers je travaille en autres avec Perec et son fameux Je me souviens, là on est dans une mémoire factuelle, consciente mais le livre (W ou le souvenir d’enfance) de Perec est très complexe (et nous dit quelque chose sur la mémoire) car quand le livre passe à l’autobio, c’est justement l’absence de souvenirs, ce que Perec dit “morceaux de vie arrachés au vide” sur le fond bio de l’innommable d’Auschwitz et là on a des pages de toute beauté à cause de cette mémoire déchirée et l’on bascule alors dans un texte fictif.
C’est l’écriture qui va permettre la conquête, la reconquête, la construction, la reconstruction d’une mémoire toujours déchirée (des origines comme dirait Quignard). On invente réinvente ses souvenirs par le jeu du je de l’écriture. Notre mémoire est lourde de souvenirs car elle est aussi essentiellement sensorielle. OH mais Claire j’arrête là. J’aime toute composition perso: texte/image/chanson.
Passionnant travail que celui de mémoire (l’expression devoir de mémoire me paraît étrange) et le Je me souviens est un outil formidable. Je l’utilise aussi avec les handicapés. Le magnifique livre de Quignard (Les larmes, si je ne m’abuse) est un travail sur le Temps et nous ramène à la mémoire aussi… Et je suis entièrement d’accord, l’écriture est le fil ET le métier à tisser. En te lisant, je me demandais : quand commence-t-on à avoir des souvenirs ? J’entends des enfants dire parfois : je me rappelle… et autre digression, je repense à la règle, patiemment rabâchée par ma mère : on se souvient de, on se rappelle… on rappelle à soi, on fait un rappel de soi.
Oui cette photo est superbe et, j’ai pensé à moi, en riant, un peu plus tard, quand j’oserai…
Je me surprends parfois à exhumer un souvenir très ancien, même sans intérêt apparent. Pourquoi celui-là, pourtant très enfoui alors que d’autres, plus récents restent inaccessibles ? Mystère. Mais si je l’ai retrouvé, c’est qu’il existait encore quelque part – avec sans doute une multitude d’autres – la mémoire fonctionne donc et fixe les souvenirs (tous ? impossible à vérifier). Le problème vient sans doute de leur classement, et donc de leur accès, et là, je soupçonne… notre inconscient, encore lui, de rendre la chose plus ou moins facile, suivant ses critères à lui, autant le redire : mystérieux (et si ce n’est pas lui le responsable, qui d’autre ?). Oui, je sais, tout ça n’est pas très poétique, that’s my character…
Quant au petit bijou de Fontaine-Higelin, j’aurais bien accepté d’être amnésique quelques instants pour retrouver le plaisir de la découverte, de la première fois. Celle-là, il n’y a aucun risque que je l’oublie.
Oh comme je suis d’accord sur ce tri sélectif opéré par “celui qui ne dort jamais” ! Et ce n’est pas vous, Horus, qui avez retrouvé le souvenir mais l’inverse. Il a trouvé le chemin pour immerger dans le conscient, coucou, je suis là !
Et d’accord aussi pour la chanson : un pur bijou, un voyage poétique dans la folie douce.
J’aime bien que VOUS veniez parler de mémoire : c’est inattendu et… intéressant. Merci.
Parfaitement résumé Monsieur Horus, joliment conclu, merci à you!
Et à l’auteure du billet qui pose très souvent de bonnes questions… sous forme de non-réponses.
Merci, c’est vrai qu’Horus en connaît un rayon en mémoire/oubli… Quant aux questions, les vraies sont sans réponse, non ?
Oui, d’où ma non-réponse! (nah, j’avais oublié)
Je vais demander à kitusé de t’établir ta carte au club des “oublieux” ! Attention, il y a des échelons, le dernier – Amnésie – est très difficile à atteindre. Un peu de patience et de courage, tes débuts sont prometteurs.
Enfin un club dont je suis sûr de ne pas oublier le nom, quoique…
Plus sérieusement, je pense que ma mémoire très, très poreuse est due au fait qu’inconsciemment je veux oublier…
Oui, certaines “amnésies” sont volontaires. Mais ça ne marche pas avec tout le monde. Et puis poreuse, le terme est intéressant, il reste peut-être le solide, ce qui n’a pas fuité. Et puis, il y a les photos. Un rapport au temps dont nous (re)parlerons bientôt.
En fait je fais peu d’images pour mémoire, ce que je regrette un peu trente ans plus tard. Pas pour nostalgie, juste pour la fantasmagorie soudaine de ce qui ne l’était pas, mais sans sentimentalité. Cette muette remontée à la surface, qui rend muet…
Tu ne les fais pas pour mémoire, ce n’est pas une démarche pensée, voulue, organisée. Mais elles FONT mémoire. La preuve, ta dernière phrase : “muette remontée à la surface, qui rend muet…” Un acte compulsif, spontané en apparence, mais pourquoi, pour qui ? La suite dans le prochain billet, imminent.
Oui, juste, pas “pour mémoire” de la part du preneur, mais le “faire mémoire” des prises pour héritage, c’est effectivement l’intrinsèque photographique. Preuve que l’acte de photographier échappe à son histoire, ne vit que par absence.
Merci Claire pour ce beau billet. Marie-Annick Guegan
Là c’est bon . Pas de pseudo bizarre.