Armand Robin : sur le bout de la langue

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Pour Armand Robin, militant anarchiste mort mystérieusement dans les locaux de la police à 59 ans, tout de suite Chostakovitch. Pardon à l’écrivain et traducteur, farouchement attaché à sa non-notoriété.
 

Le souvenir que je garde d’Armand Robin, écrit Jacques Chessex, est celui d’un petit homme saugrenu à grande bouche, rapide, rieur, tendu, pressé, affairé, une sorte de gnome disert et tragique dont l’apparition plongeait l’ami, l’interlocuteur, la compagnie, dans un état de stupeur charmée qui était l’effet d’une magie.

On a répertorié des traductions d’Armand Robin dans vingt-deux langues : l’allemand, l’anglais, l’arabe, le breton, le bulgare, le chinois, l’espagnol, le finnois, le flamand, le gallois, le néerlandais, le hongrois, l’italien, le kalmouk, le macédonien, l’ouighour, le polonais, le russe, le slovène, le suédois, le tchèque, le tchérémisse des prairies ; il parlait cette dernière langue mieux que l’anglais, selon lui. En fait, dit Cioran, il les entendait, les comprenait, les devinait mais ne les parlait pas.

Je m’écorche dans les nuits

(…) Traversé de mondes bruyants, appelé par tous les cris, je m’écorche dans les nuits ; avec les mélodies d’après minuit je trompe les ombres ; les nuages qui passent la nuit sous le ciel sont désormais composés de cris humains qui attendent de tomber et se meuvent obscurément en des règnes que fréquentent des oreilles qui n’entendent plus.

 Je cite beaucoup dans ce billet : il y a des auteurs auxquels il vaut mieux laisser la plume.

Traduire un poème, disait-il, c’est conclure une alliance avec un premier traître ; confronté au réel du bon sens, tout beau poème est par nature un contresens orienté par l’harmonie ; rien ne doit, rien ne peut dispenser le poète traducteur de l’impérieux devoir de créer dans une autre langue un contresens équivalent ; l’on n’a point affaire aux mots seulement, mais au miracle qui leur a permis d’être poésie… *armand-robin.jpg

Lisez, je vous en prie, sa lettre à la Gestapo, datée de 1943 :

http://avantderniereschoses.blogspot.com/2009/03/armand-robin-1912-1961.html

Et aussi ceci : 

Et le cours des astres, entre minuit et l’aube, ne me semble plus charrier que des cris éphémères et fragiles ; et quand ces cris parviennent à leur point le plus frêle, alors sur la pointe la plus tremblante du monde d’à présent, je dors un instant ; je prends pour oreiller ce qu’il y a de plus flottant au monde et ma vie, avant que viennent les rêves, tangue de songes.
Deux heures après, je retrouve un monde au repos, un monde d’avant le monde, un monde encore innocent de mots. Les récits des faux drames auront beau recommencer, un grand instant, deux heures avant l’aube, se passera avant que les premiers mensonges de la fragilité humaine reparaissent.

Armand Robin
Et ce petit cadeau, bonbon acide : Jean-Luc Godard lit un texte d’Armand Robin
*Écrits oubliés, traductions, Éditions Ubacs, 1986
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