Je suis partagée au sujet de Andreï Tarkovski : dans quel état errais-je quand j’ai vu Le Sacrifice ? Ai-je vu un autre film de lui ? Que de questions à propos de ce cinéaste ! Je souhaite partager ce questionnement. Il m’avait semblé que Le Sacrifice était un beau film mais… je n’ai pas envie de le revoir, sauf pour Erland Josephson et encore. Peut-être que je me suis ennuyée et que je n’osais pas le dire. Peut-être que les gens qui parlent trop de l’âme slave m’enquiquinent. Peut-être, au fond tout au fond de moi, avais-je ressenti une gêne devant quelque chose d’un peu bavard jusque dans les silences. Peut-être ai-je regretté que Tarkowski ne soit pas Bergman alors qu’il lui louche dessus. Je vous l’avais dit : des peut-être, des ? , des interrogations, des questionnements. J’aime bien quand, à propos d’un artiste je me demande Mais pourquoi, je ne l’aime pas vraiment ?
Et puis, les paraboles, les paraboles… ras l’bol des paraboles. Peut-être qu’avant de sauver le monde, par l’art, par la spiritualité (aïe, ce mot paravent…), faudrait-il commencer par essayer d’aimer son voisin et faire place à un peu d’humilité. Ce n’est pas qu’il faut voir petit mais ne vaut-il pas mieux prendre les premières marches de l’escalier ?
Et encore aussi, le fou russe, l’iconographie russe, La Mère-terre russe, avec des RRRRRR roulés partout me fatiguent un peu. Ça fait folklore illuminé.
Et enfin, les démonstrations, au cinéma comme dans la vie et excepté dans la mathématique, ça ne convainc que celui qui démontre et si, en plus, ça moralise et ça mysticise… C’est beau mais qu’est-ce qu’on s’ennuie ! (En bordelais : c’est bô mais ça daille) Et, au cinéma comme dans la vie – bis – on n’aime pas s’ennuyer.
La plupart du temps, je parle de ce que j’aime. Mais là, plus je vieillis, moins j’aime. Je deviens méfiante, sensible à l’épaisseur du discours, son adéquation forme-fonds ; je souhaite la totale liberté laissée au spectateur, la sollicitation de son intelligence et surtout surtout PAS DE MORALISATION. Bref, je deviens exigeante.
Finalement, je n’ai peut-être rien compris à Tarkovski ou bien ça ne m’intéresse plus. Pareil pour Wajda, pareil pour Zulawski, bien que les propos soient radicalement différents. Peut-être que je ratisse large… Peut-être qu’il ne faudrait pas parler de ce que l’on n’aime plus, d’un cinéma esthétique qui ” chope ” et assène et vous laisse K.O. debout sans vous embarquer.
Amateurs de ce cinéma, faites moi la leçon, s’il vous plaît.
En fait, j’avais envie de parler d’une magnifique partition d’Arvo Pärt, Spiegel im Spiegel, qui illustre Le Miroir de Tarkovski
Puis de là, je suis passée à une video avec deux artistes MA-GNI-FIQUES qui jouent Fratres de Pärt, et de fil en aiguille, ou plutôt d’aiguille en fil, nous voici avec Tarkovski dont je me suis éloignée… Ainsi va la vie.
Allez, musique ! Et bonne nuit.
Leçon ? Il n’y a pas de leçon à faire ! Cela supposerait qu’il y ait une vérité et une seule ! Heureusement, cela n’est pas aussi simple. En clair, tu nous avoues ton remord de t’être faite avoir
par Tarkovsky et tu nous demandes si c’est grave.
Réponse. Il me semble qu’il y a deux choses à bien distinguer : l’oeuvre qui est le coeur de l’artiste, et sa perception qu’en a le spectateur. On peut très bien comprendre que tu as été
impressionnée par la première vision du Sacrifice, et avec le temps et l’âge, revenir sur ce choc (la forme) et montrer, comme tu l’argumentes, que le message (le fond) ne passe pas.
L’oeuvre n’a pas changé mais tu as grandi : la mystification a raté, où est le problème ? Tu devrais être contente, non ? En plus, tu voudrais savoir si on est nombreux à te suivre dans ton
analyse ? Pour ma part, je ne ferai pas avancer le débat puisque je partage tes objections : nous avons vu le même film, je l’avais oublié mais je le reconnais bien en te lisant et il m’évoque
les mêmes sentiments sur “l’âme russe” et tout ce que cela induit. Cela peut expliquer pourquoi ils sont si nombreux à céder à la nostalgie du petit père des peuples. Quand même, quelle misère !
L’histoire de l’Art est pleine de chefs-d’oeuvres ou d’artistes vénérés en leur temps avant de sombrer dans l’oubli, quitte à être redécouverts ensuite. Souvent parce qu’ils n’ont de sens que
dans leur temps mais pas toujours : même J.-S. Bach a eu sa traversée du désert pendant un bon siècle. C’est le privilège (et la versatilité) du public.
(Ce dernier paragraphe est hors sujet mais je n’avais pas envie de l’effacer, un bonus en quelque sorte)