Quand les vagues jouent :
C’est à l’âge de soixante-treize ans, que j’ai compris à peu près la structure de la nature vraie, des animaux, des herbes, des arbres, des oiseaux, des poissons et des insectes. Par conséquent, à l’âge de quatre-vingts ans, j’aurai fait encore plus de progrès, à quatre-vingt-dix ans je pénétrerai le mystère des choses; à cent ans je serai décidément parvenu à un degré de merveille, et quand j’aurai cent dix ans, chez moi, soit un point, soit une ligne, tout sera vivant. Je demande à ceux qui vivront autant que moi, de voir si je tiens ma parole. Écrit à l’âge de soixante-quinze ans par moi, autrefois Hokusaï, aujourd’hui Gwakiô Rôjin, le vieillard fou de dessin.

Début octobre : un peu de brume, l’océan est couleur sable, le ciel aussi. Les vagues sont aujourd’hui parfaites : menaces suspendues et lointaines, fortes et régulières, hissant haut leur écume, murs souples et mouvants… vues de la dune, la houle fait son extraordinaire démonstration . Même l’amie qui vient chaque jour se baigner dit qu’aujourd’hui le spectacle est somptueux : un opéra, en majeur et en majesté !
Les vagues, honnêtes, emplissent le ciel léger, étalé sans retenue et sans cadre, de leur grondement uniforme qui délite les stridences des sternes ; les vagues, comme elles blanchoient, festonnant le bord liquide jusqu’au bout, jusqu’à la pointe embrumée des regards. Catherine Sanchez – Méandres

Et aussi le vieux Lautréamont […] au milieu d’un sombre mystère, sur toute ta surface sublime, tes vagues incomparables […]
Ivan Bilibine que j’aimais tant enfant
Oui, ces ondes-là, ces masses d’eau hérissées, portant légèrement leur feston d’écume intangible, elles étaient magnifiques et il a bien fallu, pleines d’humilité et de gratitude – et nous nous tenions à distance respectueuse – aller recevoir leur grande bénédiction. Ce qui fut fait dans la joie et l’excitation de l’enfance, rire mêlé de peur et oubli total de soi !
Claire, à ta demande, je rajoute :
Jocelyn Bouquillard écrit :
“La ligne de démarcation entre la mer et le ciel forme le symbole éternel du yin et du yang, accentuant ainsi graphiquement l’opposition entre les forces obscures et terrestres d’un côté,
célestes et lumineuses de l’autre.
Cette estampe revêt une dimension quasi religieuse, conjuguant les valeurs spirituelles du boudhisme, axées sur le côté éphémère des choses, à celles du shintoïsme, orientées vers la
toute-puissance de la nature.”
…
“En Occident, “La grande vague” a fasciné les impressionnistes, inspiré de nombreux peintres et même des compositeurs comme Claude Debussy, qui la fit reproduire sur la couverture de sa symphonie
La Mer.”
Cela me fait penser l’un de de nos conversations. Finalement vous aviez peut-être, pour ne pas dire sûrement, raison Christian et toi, la lecture enrichit la façon dont on perçoit l’art.
Finalement, et pour ne pas avoir totalement tord, disons, qu’il faut “regarder-lire-et regarder à nouveau”.
Ahhh, merci, Denis ! Je trouve très éclairantes ces réflexions de J. Bouquillard, amenant notre regard vers l’intériorité et l’éternel partage (obscurité/lumière).
Il y a toujours un “avant” dans les œuvres, un terreau qu’il est bon – certes pas indispensable – de connaître. Cela affine tellemnt le regard. Bon, je retourne regarder la vague nantie de
cette lecture.
Je n’ai malheureusement pas vu ce film. J’écris « malheureusement » car ton enthousiasme m’assure que c’est un beau film.
Concernant l’estampe, avez-vous remarqué le yin et le yang ?
J’ai vraiment honte, c’est à la lecture du texte de Jocelyn Bouquillard que cela m’a sauté aux yeux. « Mais bien sûr ! », d’où l’équilibre magique que l’on ressent à sa
contemplation.
Tu le verras et il te plaira beaucoup mais beaucoup, j’en suis sûre ! C’est une coréen qui a fait ça… J’ai déjà oublié son nom.
Et zut pour le ying et le yang : je retourne voir ça tout de suite et merci du tuyau. Tu vois un peu les vertus de l’échange ! Qu’est-ce que c’est riche ! Merci, Denis
Avant moi, c’était Nana … coucou Nana la grande !
Bon, de toutes façons en japonais il n’y a pas de tréma.
Hokusai Katsushika (葛飾 北斎, Katsushika Hokusai ), connu plus simplement sous le nom de Hokusai (北斎), ou de son
surnom de « Vieux Fou de la peinture »
(source Wikipédia … vachement bien quand même)
J’aime bien son surnom 🙂
Ben oui, c’est vrai, pas de tréma en vermicelles ! Et moi aussi , j’aime ce surnom et aussi quand il parle de cet affinement du trait (et donc de l’oeil) qui vient avec l’âge. Ce doit être très
vrai qu’on va vers l’épure totale : on se déleste.
C’est très joli d’avoir pu mettre les kanjis direct sur l’écran : c’est très exotique !
As-tu vu ce très beau film “Ivre de femmes et de peinture ” ? UR-GENT parce que très magnifique !
Bon, j’ai cliqué sur le mauvais bouton en bas (fermer au lieu de publier) donc je recommence 🙁
C’est dingue ça !
J’ai toujours aimé cette estampe, et tu m’as parlé de l’océan, peut-être même de cette vague.
Monique m’a offert “Les trente-six vues du mont Fuji” de Jocelyn Bouquillard, quelques magnifiques estampes de Hokusai (pas de ï dans le livre). Estampes d’une “simple” beauté.
Désirant une repro numérique de cette estampe, je suis allé sur la toile :
http://expositions.bnf.fr/japonaises/grand/083.htm
J’y suis allé juste avant d’avoir vu ton blog !
Eh ben voilà, tu vois, c’est ça pour moi le petit fil invisible qui relie (sans attacher) certains êtres humains ! Rien de magique pour moi, là-dedans, t’es mon frère.
Chez Hokusai (je te crois pour le tréma, je trouvais que cela faisait plus japonnais), j’aime d’abord les couleurs et puis, ce ton faussement naïf de ceux qui ont retrouvé la simplicité première.
Allez, vivent les vagues, nouvelles ou anciennes.
Je me souviens de ce documentaire “Voyage en terre inconnue” avec Muriel Robin chez les Himbas en Namibie, les femmes s’ocrant le corps, mais surtout le passage où elles aperçoivent pour la
première fois la mer. Leurs approches peureuses puis la communion avec l’eau… C’était fantastique! Tes illustrations sont très belles…
Nous aussi nous en avons des souvenirs avec cet élément, “Jouer à Venise” dans les piscines naturelles de l’océan au Maroc…Avec l’âge, je préfère maintenant la Méditerranée, aux creux des
criques, plus chaude et un peu plus calme.L’océan de chez nous me fait un peu peur surtout lorsque tu as été prise en traître plusieurs fois.Du haut d’une dune tes yeux se remplissent d’un
spectacle grandiose, comme sait le faire Dame Nature , innoubliable, te rendant humble et émerveillée.
Comme Denis, je viens de perdre mon commentaire ! Pardon du retard dans la réponse, mais comme tu le sais, je suis en voyage.
De l’Océan marocain, je garde surtout le souvenir des vagues immenses de Mazagan, de celles qui nous arrivaient dessus si fortes et hautes que la seule solution était de plonger dessous ! Ou bien
de l’immense bouée sur laquelle nous nous juchions et qui se retournait dans le fracas de l’eau et les hurlements de rire : à l’arrivée, du sable partout, dans la bouche, le maillot de bain, les
oreilles et la sensation d’être minuscule… Quelle joie !
Je suis, moi aussi, plus contemplative maintenant et le Bassin me suffit. Mais là, je n’ai pas résisté.
“Au début du XXeme siècle, Georges Darien remarquait que les bourgeois aiment tant regarder la mer, parce qu’elle n’arrête pas de travailler” ANNIE LE BRUN (“Si rien n’avait une forme, ce serait
cela-Gallimard 2010)
Coucou, Vincent
J’aime Annie LE BRUN… Le titre du bouquin est une merveille. La mer travaille, certes, mais pour qui ? à qui rapporte-t-elle ? Et à quel âge prend-elle sa retraite ? Ça, c’est des vraies
questions !
Je ne dois pas être une vraie bourge : ce n’est pas le travail de la mer que je regarde : c’est sa profonde, sa poétique persévérance. Et puis, c’est comme le blues : toujours pareil, jamais
pareil !