Modèle

Les modèles des peintres. À quoi servent-il ? Sont-ils prétexte, pâtes à modeler, d’autres présences qu’eux-mêmes ?

Quand on aime les mots, on en rencontre certains qui vous compliquent drôlement la vie. Surtout les polysémiques. Et c’est bien. Le mot MODÈLE (du latin modellus : moule) en fait partie. Avant de peindre, Lucie Gefffré sculptait.
Mon point de départ : j’entends une émission sur l’exposition Le modèle noir : de Géricault à Matisse. Modèle pouvant s’entendre ici aussi bien comme ” modèle posant pour un artiste ” que comme ” figure exemplaire “. Jeune noir à l’épée de Puvis de Chavannes a inspiré un livre à Abd Al Malik. C’est une autre histoire.

Je pense alors au regard si particulier de Lucie GEFFRÉ lorsque, pinceau en main, elle dé-visage son modèle. Que voit-elle ? Elle voit une partition – un visage le plus souvent, un corps, une attitude – et elle l’interprète.
Pour poser, il faut être totalement dans le lâcher-prise. S’abandonner. Se prêter. Accepter d’être une partition. Dont l’interprétation, totalement libre, totalement subjective est indiscutable.

Greenleaves. 2007

Je ne crains pas de montrer ce portrait. Je m’y reconnais absolument – j’ai de bonnes raisons pour ça – et c’est une autre personne.
Y a-t-il de bons modèles ? Il y a des tronches, des ” gueules “, des visages aux traits à croquer. Des regards, des mains. Des situations, des positions, des ondes, des vibrations.
Qu’est-ce qui appelle le peintre ?
Bien qu’elle ait d’autres sources d’inspiration, Lucie Geffré est spécialiste des portraits. Que voit-elle dans un visage qu’elle a envie de donner à voir ?
Elle demande au modèle de la laisser entrer un peu dans le mystère d’un visage. Enfin, c’est ce que je crois. C’est ce que j’ai ressenti chaque fois que j’ai posé pour elle.
Que se passe-t-il entre le peintre et son modèle. RIEN, suis-je tentée de dire. Et pourtant… Ce silence est d’une densité profonde. Chacun de son côté vaque. Le modèle est vacant. Le peintre travaille tenaillé par ce qu’il pressent.

Lors des expositions, quand il est présent et que les gens font le lien entre le modèle et la toile l’on entend des choses étonnantes :
” La toile est superbe mais elle ne vous avantage pas  ! ” ou bien ” Mais, c’est vous sur ce tableau  ! Vous étiez malade ? “.
Ce n’est pas moi. C’est ce que Lucie, à ce moment, a vu de moi ou a voulu dire de moi…
C’est sa chanson. Dans son mode, sa tonalité. C’est sa musique. C’est beaucoup plus elle que moi. Je suis la portée.
J’aurais aimé proposer d’autres portraits. Mais la place me manque. Son site : https://www.luciegeffre.com/

Une boutade, pour finir :  J’ai connu un jeune homme plein de goût, qui, avant de jeter le moindre trait sur la toile, se mettait à genoux, et disait : Mon Dieu, délivrez-moi du modèle ” DIDEROT Essai sur la peinture

Comme j’aurais aimé parler de Toulouse-Lautrec et… de Claire Brétecher !




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Denis
Denis
il y a 3 années

Oui, c’est ton regard.
Ma nièce est aussi parfaitement reconnaissable, je préfère celui de gauche, moins “torturé”.

Lucie
Lucie
il y a 3 années

Merci Claire pour ce bel article. Les modèles sont effectivement un sujet (et des sujets) passionnant(s) !
Certaines personnes ont une sorte d’habileté naturelle à poser, sans rapport avec le fait d’être photogénique ou pas, coquet ou pas, narcissique ou pas, beau ou laid, ce n’est pas proportionnel à la bonne volonté non plus… Pour d’autres, c’est moins une évidence mais quelque chose fait que ça marche. Souvent ça se joue dans l’instant et c’est assez mystérieux, ou du moins « ce qui arrive » est parfois surprenant pour moi, inattendu. Comme tu dis, les modèles laissent quelque chose passer, ils laissent faire ou laissent quelque chose se faire… Je leur suis toujours très reconnaissante. Alors, merci encore !

Philippe
Philippe
il y a 3 années
Reply to  Lucie

Bel article au vrai, merci Claire!
Et merci à vous pour ce partage d’expériences des corps à l’ouvrage, leurs âmes en jeu, suspends involontaires, singulier volontaire.
Ce que beauté en peinture sait retenir, votre main.

vhm
vhm
il y a 3 années

“Je est un(e) autre”, qu’elle dit !
Le “quelque chose qui fait que ça marche” s’appelle la confiance. Avoir confiance/être en confiance, c’est le plus beau dans la relation à autrui, n’est-il pas ?
Merci à toutes deux d’avoir développé ce sujet sur les modèles (qui ne sont pas que des petites filles… il y aussi des garçons dans la peinture de Lucie!)

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