Voilà un écrivain dont je souhaite parler depuis longtemps. Peut-être l’ai-je déjà fait… Ce blog est si vieux !
Je vais à la bibliothèque (toujours pas médiathèque dans mon vocabulaire). Cela faisait un bail : une période sans lecture. Cela est déjà arrivé, je m’inquiète au début et puis j’attends. Ça revient, enfin c’est toujours revenu.
Selon un rituel immuable, au moins trois livres : un polar, un livre de poésie ou un livre d’art selon l’humeur et… ce que je trouve en dérivant dans le rayon Romans.
Et le revoilà : Antonio Lobo Antunes. J’ai lu quelques livres de cet auteur et j’ai toujours été emballée, surprise, embarquée, séduite. Les écrivains portugais géniaux sont nombreux, José Saramago, la formidable Agustina Bessa-Luis – qui a travaillé avec le cinéaste Manoel Oliveira – Miguel Torga et tant tant d’autres !L’homme est terriblement portugais et pourtant… Père brésilien, grand-mère allemande, parlant un français superbe, marqué par la guerre d’Angola, il est pétri de son pays. Et ces titres : Le Cul de Judas, Le Retour des caravelles, Explication des oiseaux…
Dans ces Chroniques, cinquième de la série, des textes très courts, quatre ou cinq pages maximum parlent d’enfance et de solitude, de passé et de présent (oh le texte sur les quinze jours seul avec sa fille de onze ans !), de personnes mortes ou vivantes. C’est loufoque et tragique. C’est vrai et dingue. C’est cruel et hilarant. C’est précis. Cela s’intitule : Bien sûr que tu te souviens de moi.
Ces fragments de vie sont livrés avec acuité et ironie : le Portugal de Salazar, les hommes politiques, l’Église, la bourgeoisie, rien n’échappe au regard acéré du solitaire, voué à l’écriture.
Le texte qui ouvre le recueil, La conséquence des feux rouges, vous met immédiatement dans le bain. C’est un livre de râleur, d’enfant très observateur (pléonasme ?) et implacable.
Un texte m’a particulièrement touchée : Les grandes personnes. Je ne peux le donner en entier. On avance avec l’enfant qui découvre les grands « de bas en haut ». On franchit les étapes du dessous de table pour arriver à la hauteur de la nappe où l’enfant découvre en plus des médicaments le « rire démontable » des vieux. Il ne comprend pas « leur étrange indifférence à l’égard des deux seules choses vraiment importantes en ce monde : les vers à soie et les parapluie en chocolat ». Un jour il comprend qu’il a sûrement cessé de grandir puisqu’il se met à aimer prendre des douches et qu’il devient triste… Une merveille de simplicité.
«Le passé n’est jamais mort. Il n’est même pas passé», dit Faulkner, à qui on compare parfois Lobo Antunes.
(Excusez la publicité qui pollue le début du reportage…)
Et j’ai pensé au beau film d’Alain Tanner de 1982, Dans la ville blanche (avec le merveilleux Bruno Ganz). J’ai compris que Lisbonne et tout le Portugal fascinent par leur art de mélanger force et douceur.