Chopin copain

Mon adolescence a baigné dans la musique de Chopin. Dans ma chambre, c’était plutôt Nocturnes et Scherzos que Âge tendre et tête de bois. J’étais quasi monomaniaque. Je n’étais pas amoureuse de la figure : je n’étais pas romantique. J’aimais cette musique, profondément, abstraitement et physiquement. Abstraitement parce que je ne mettais aucun mot dessus : ça (me) parlait et c’était tout. Physiquement parce qu’à l’écoute, j’avais une sensation corporelle d’être dedans, de la jouer, d’en entendre et d’en vivre la plus petite quadruple croche, le plus infime bémol. Je m’en sentais digne.chopin.jpgJ’exagère un peu : j’écoutais d’autres compositeurs, le grand Bach, Grieg déjà et puis Borodine… Mais le Frédéric –  j’étais ravie qu’il s’appelle Frédéric, c’était moderne et ça lui allait bien – c’était ma maison et mon jardin.  

Et déjà, je laissais dire : musique pour jeunes filles romantiques, pauvre polonais phtysique, émotions à tous les étages ! Et puis alors, il n’a composé que pour le piano, tu te rends compte, c’est pas un vrai compositeur, ça ! Ce qui m’agaçait davantage, c’était les vieilles anglaises qui se pâmaient sur les drops, les gouttes d’eau que faisaient les petites notes, parce que j’avais lu que ça l’énervait. Sinon, je m’en foutais des on-dit… J’essayais même d’en jouer un peu : c’est dur Chopin ! Faut avoir 145 doigts… Mais ça n’entamait pas ma passion. George Sand disait qu’il devenait fou à force d’essayer de transcrire sur papier ce qu’il avait improvisé la veille. Et pour moi, c’est ce merveilleux flux que l’on sent dans sa musique, une présence incessante de musique, naturelle et impérative.

Dans les interprètes, j’avais mes chouchous, ceux que je trouvais pile-juste-là-comme-il-faut-c’est-comme-ça-que-je-jouerais-si-je-pouvais, celui-là va trop vite, celui-ci joue trop fort. Bon, j’ai peut-être un peu changé, mais ma sensibilité reste intacte : j’aime Chopin, même maintenant que je suis grande.

 

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Ghi
Ghi
il y a 12 années

Quel plaisir de lire ce billet ! C’est si bien dit tout ça sur Chopin. J’y retrouve tellement de mes ressentis que je suis totalement sous le charme de la musique et du texte.

J’adore aussi les 2 secondes de concentration du musicien, la main gauche posée sur les touches, avant d’entrer dans la musique.

On y sent ce que tu as écrit, je trouve.

TempesduTemps
TempesduTemps
il y a 12 années

Youpeeee pour Frédéric et nous ! Plaisir fin et émotion, et cette empathie qui dure depuis 45 ans.

Merci de partager ça, c’est rare.

Nana Massart
Nana Massart
il y a 12 années

Tu étais ado et moi je ne l’étais presque plus… J’entrais dans “la vie active” comme dans un cloître, une prison.. J’aime à penser que notre chambre fût que pour toi, mais, tu en as profité
sans moi, je rage retrospectivement de ce non partage. Je suis partie trop tôt.J’écouterai “ChopinCopain” avec d’autres “Z’oreilles” et te penserai à côté de moi.Tu n’aurais jamais dû abandonner
le jeu-piano.J’enrageais de t’entendre si bien jouer, (moi, si peu douée!) Il n’est jamais trop tard même si les doigts sont un peu engourdis.Nous avons tant à faire encore et nous écouterons
“Chopin Frédéric”, tu m’apprendras à mieux le connaître, le vivre…

TempesduTemps
TempesduTemps
il y a 12 années

Allez dac, la The Nana, on se fera les Nocturnes tout doucement et les Scherzos plein pot, on dansera les Mazurkas et les Valses aussi !

C’est pas moi qui ai abandonné le piano : c’est lui ! Mais la musique est là, pleinement, complètement et pour toujours. En partage. Question de vie !

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