En juin de cette année déjà, je parlais de Butterfly, cette pauvre petite femme d’opéra… Mais ça me taraude cette histoire, cet interminable cortège des femmes bafouées ; peut-être même que ça commence avec la Clorinde de Monteverdi, l’inventeur de l’opéra (pour faire court). Pourquoi est-ce Clorinde qui meurt, hein ? Et quelques années avant (1600), Jacopo Peri crée Euridice et on peut dire là que dans le tout premier opéra, la femme meurt deux fois : Eurydice meurt une première fois de sa vraie mort de mortelle et une deuxième – ou plutôt seconde – quand Orphée se retourne et la regarde… Double peine ; pas de chance !
C’est lyrique, la fusion d’Eros et de Thanatos. Ça donne à chanter, amour et mort. L’opéra, la fête de tous les sens et même un peu plus loin ?
Dans son article Échafaud pour sopranos (http://www.slate.fr/story/30325/echafaud-pour-sopranos), le critique musical Jean-Marc Proust explique que la fonction archétypale de la femme est d’être glorifiée puis sacrifiée, de préférence de façon spectaculaire. « L’opéra aime le gore« , écrit-il, exemples (toujours sexués et souvent sexuels) à l’appui et il poursuit : De L’Opéra ou la défaite des femmes écrit en 1979 par la philosophe Catherine Clément au Les Femmes et l’opéra d’Hélène Seydoux en 2004, le dépoussiérage de l’opéra s’est accompagné d’une certaine féminisation et d’une libération de la féminité dans la mise en scène et dans l’interprétation du répertoire. Bon, tant mieux, mais dans les archétypes, hein ? Lulu sera toujours Lulu.
La Femme est l’AUTRE et l’Autre est angoissant, on le sait. Si l’altérité est indispensable, la tentation est forte de réduire l’Autre au silence, on le sait aussi, n’est-ce pas ? Au silence définitif !
L’opéra associe régulièrement le féminin et la mort. Allons plus loin : pas que l’opéra… La mort EST souvent une femme belle et séduisante, fatale pourrait-on dire.
La Femme lorsqu’elle donne de la voix, surtout si elle est soprano, s’inscrit dangereusement du côté de la mort et se trouve régulièrement sacrifiée sur l’autel du bel canto. Jean-Michel Vivès dans Insistance n°1/2005
Assez sottement, j’avais concocté une méchante petite vengeance : je voulais vous donner à entendre la mort d’Orphée. Mais non, décidément, seules les femmes meurent bien à l’opéra et… dans le fantasme des hommes. Ce doit être la panacée d’un art bourgeois (ça y est : le gros mot est lâché !) Les femmes, sur la scène d’opéra, chantent, immuablement, leur éternelle défaite. Jamais l’émotion n’est si poignante qu’au moment où la voix s’élève pour mourir. Regardez-les, ces héroïnes. Elles battent des ailes avec la voix, leurs bras se tordent, les voici à terre, mortes. Catherine Clément