” Qu’est-ce qui me pousse vers les hommes, vers ceux qui ne nous sont rien et dont les mains guérissent et tuent ? “
Il est comme un Gaspard Hauser, notre Luc Dietrich, il dit et l’innocence et sa disparition. Il dit la noire tendresse. Il a vécu du très bas au très haut, ce fut un vagabond, un sans domicile fixe mais il garda son âme debout. Il a connu la grande pauvreté mais aussi le luxe. Il oscille, Luc Dietrich, il tangue, entre-deux, entre les bas-fonds et la quête spirituelle. Et il écrit et sa voix est pure et son chant est beau*. Société chavirée de cette période d’entre-deux-guerres qui halète, cherche, tente des trucs, cherche encore et trouve parfois (souvent !). Cinq pieds neuf pouces (1,88 m quand même) d’intensité et d’intransigeance !

Gérard Mordillat a fait un téléfilm de L’Apprentissage de la ville. (Oui, le Gérard Mordillat de La voix de son maître, de Artaud le momo, de Les vivants et les morts…). De l’écriture de Dietrich, il dit qu’elle est « à la fois lâchée, et d’une grande sophistication ».
On dit que L’Apprentissage de la ville est aussi plus fort que Le Bonheur des tristes parce que Dietrich s’est affranchi de Lanza Del Vasto. Tant mieux !

Luc Dietrich était aussi photographe ; de son vivant, il publia Terre. En 1993, Emblèmes végétaux, autre recueil de photos, est paru aux éditions Le Temps qu’il fait : pas moyen de trouver des photos de lui, exceptée celle de René Daumal faite quelques jours avant sa mort. (ci contre à gauche)
Gil Pressnitzer dit : Nous sommes quelques-uns à vénérer encore Luc Dietrich, même si nous le relisons peu, en souvenir de toutes les enfances massacrées, de tout l’amour d’une mère. Charles Juliet et son roman Lambeaux ne peuvent se concevoir sans Luc Dietrich. Certes l’un n’aura pas voulu faire de littérature, l’autre y est magnifiquement parvenu.
P.S. : illustration musicale : pièce de Gurdjieff (dont Dietrich suivit un temps l’enseignement) jouée par Keith Jarett
*Le Bonheur des tristes, Éditeur – Le temps qu’il fait, éd° intégrale de 1935 avec une présentation de Frédéric Richaud
L’Apprentissage de la ville, Éditeur – Le temps qu’il fait – 1998 avec une présentation de Frédéric Richaud
L’école des conquérants, (Eolienne, 1997)
Pour avoir lu passionnément “lambeaux “de Juliet pour cette invitation (si bien dîte) à lire, à découvrir Luc Dietrich, pour René Daumal, pour Keith Jarett, merci à vous et bon
dimanche.
Ce portrait de Daumal est ma-gni-fique, hein ? Tous se rencontrent et nous font nous rencontrer et moi, ça m’enchante. Merci, Marie, dimanche gris mais de très beaux gris.
Merci de nous souffler cette envie d’ouvrir les livres, de nous ouvrir les yeux sur toutes ces belles pages. Il faut trouver le bon moment pour lire ces ouvrages, se sentir plus solide pour ne
pas être trop secouée. A quoi tiennent la vie, la mort? A un souffle. Sa vie si courte mais si pleine, un destin comme un tableau fini.
“Ne me secouez pas, je suis plein de larmes ” disait Henri Calet, écrivain qui n’est pas sans lien avec Luc Dietrich. Accepter, peut-être, d’être secoué si l’émotion est bonne… Peut-être
seulement. J’aime ton image de ” destin comme un tableau fini “, elle me touche beaucoup.
Chaque fois que tu parles d’un livre, tu sais donner envie de le lire.
C’est fait pour ! et youpee quand ça le fait ! Le premier problème avec les livres, c’est leur prix ; le deuxième, c’est la place. Mais la vie sans eux, hein, c’est quoi la vie sans les
livres ? Pour Dietrich, je te les amène à Gauchac, si tu veux. Je suis sûre que ça va vous plaire (quoique le mot soit bizarre pour Dietrich).
Mais petite question perso, Yz : qu’est-ce tu fais debout à 8h08 un dimanche ?
Ouf ça c’est du lourd, du triste et du beau!
En 1942, le critique Jacques Lemarchand écrivait « Toutes les promesses que contenait Le bonheur des tristes, Luc Dietrich est en train de les tenir.
L’apprentissage de la ville est un livre riche, intelligent et mystérieux […] Ce livre, écrit dans une
langue à la fois très moderne et très solide, est un livre important ». http://jacques-lemarchand.blogspot.com/
Je n’aurai pas
pensé à faire le parallèle avec Charles Juliet, qui est fondamental pour moi. Mais maintenant que tu le dis, c’est évident : même enfance cabossée…
Livres qui étaient dans la bibliothèque familiale, lus trop tôt, relus et aimés plus tard. Il y a du mystère, c’est vrai, chez le bonhomme et dans son écriture et bien sûr, Jacques Lemarchand a
les mots très précis et justes !
Pour la parenté avec Juliet, j’ai lu ça sous la plume de Pressnitzer et ça m’a fait du bien, lorsque les passerelles sont lumineuses et ont du sens.