Paris, 1841, discussion sur le reflet, les sons en musique et les tons en peinture entre Delacroix, Georges Sand et son fils Maurice. Chopin écoute puis va à son piano et esquisse une mélodie :
– […] Eh bien, eh bien, s’écrie Delacroix, ce n’est pas fini !
– Ce n’est pas commencé. Rien ne me vient… rien que des reflets, des ombres, des reliefs qui ne veulent pas se fixer. Je cherche la couleur, je ne trouve même pas le dessin.[…]
Et puis la note bleue résonne et nous voilà dans l’azur de la nuit transparente… »
George Sand, Impressions et souvenirs – Éditions des Femmes Antoinette Fouque
Schumann nous rapporte, non sans énervement, qu’à la fin de ses improvisations, Chopin avait comme manie de faire glisser rapidement sa main sur le piano de gauche à droite « comme pour effacer le rêve qu’il venait de créer ». C’est ça, le fantôme est passé… Delacroix, L’amoureuse au piano
Chez Chopin quand la note est bleue, le mystère s’installe, les spectres peuvent passer, aux confins du monde sans mots. La couleur bleue est silencieuse, je crois, mélancolique ; et comment ne pas penser au blues, aux couleurs de chagrin et de spleen ?
Blue note, ce pourrait être la note triste,
l’impression d’être dans l’instant le plus fin de la musique, une histoire de chavirement, de glissement. Un moment d’exception, la Blue Note, ” Cette note fantôme, impossible à marquer sur une partition, est une émotion “, rappelle joliment Norah Jones. Mais alors, Chopin était-il ” blues ” ? Il L ‘avait, c’est sûr, et plus souvent qu’à son tour…
Je me souviens que lorsque j’étais enfant, j’avais été très frappée par l’histoire de la note du diable, diabolus in musica, cet accord évité en musique au Moyen-Âge car jugé maléfique, trop dur à l’oreille et associé à un sentiment malsain ou bizarre. C’était ça pour moi la note bleue, je la trouvais très belle !
Portrait chinois de la note bleue
* Un tableau ? Allez, j’ose une anthropométrie de Klein… Ouais, je sais, fastoche…
* Un livre ? BLEU histoire d’une couleur de Pastoureau qui nous apprend l’étrange destin de cette couleur : par exemple, à Rome, c’est la couleur des barbares, de l’étranger (les peuples du Nord, comme les Germains, aiment le bleu). De nombreux témoignages l’affirment: avoir les yeux bleus pour une femme, c’est un signe de mauvaise vie. Pour les hommes, une marque de ridicule.
*Une maison : celle de Majorelle, bien sûr à Marrakech (photo Clarisse Mèneret)
* Une chanson ? peut-être celle d’Yves Duteil consacrée à Claude Nougaro… Je ne suis pas dingue mais Blue Note, c’était le titre du dernier album du grand Claude, alors…
* Une autre musique ? Ce serait du Bessie Smith, Nobody knows you, par exemple…
http://www.youtube.com/watch?v=6MzU8xM99Uo
Et si c’était un parfum, ce serait un Guerlain, bien entendu
Je ne connais pas ce mot “capillotracté” mais je suppose que cela veut dire tiré par les cheveux.
Non en fait ce n’est pas du tout tiré par les cheveux. J’avais entendu parler d’une expo à Paris pour le bicentenaire de la naissance de Chopin mais sans plus de détails. Mais hier, je lis que
cette expo s’appelle “LA NOTE BLEUE” et qu’elle est illustrée par divers dessins, peintures et notamment par cette Amoureuse au piano dont l’organisateur de l’expo dit que “même dans
cette toile où le marron domine, “la note bleue” résonne”. Tu étais au courant ? Si tu ne l’étais pas alors là je vais vraiment croire que le diable s’en est mêlé !
D’autant plus que j’entends, toujours hier, à la radio, une fugue de Bach, l’Oiseau de feu de Stravinsky et une pub pour un livre pour enfant qui vient de sortir “Mr Chopin ou le voyage
de la note bleue”. Mon inculture m’effraie ! Le monde entier connaissait donc cette fameuse note bleue, sauf moi !!!
Conclusion : tu ne pouvais pas mieux choisir que ce tableau pour accompagner ton texte. 2ème conclusion : je ne le connaissais pas mais j’ai beaucoup apprécié et le tableau et sa découverte
impromptue au hasard d’une lecture.
J’aime bien le néologisme capillotracté : ça fait sérieux, je trouve, technique et important.
Alors là, tu vois, le diable existe, nous avons la preuve : j’avais entendu parler de l’expo Chopin MAIS MAIS aucune connaissance n’avais-je pour la présence de ce dessin de Delacroix, je te jure
!
Beaucoup de personnes connaissent la “blue note” mais la note bleue un peu moins, quoique maintenant avec l’expo et toutes les idées qu’ils m’ont piquées, ça
va faire tache d’huile (du plus beau bleu, bien sûr !) et je trouve ça vraiment bien. Merci pour tes gentilles conclusions, Plof. Bonne ournée
Oui, tel quel pas très sympathique à écouter le triton diabolique. Mais une fois enrobé par Bach… c’est autre chose.
J’ai cru un moment que le triton était un vulgaire lézard, ingrédient habituel en matière de sorcellerie. Non, terme technique : 3 tons.
Et du même coup, je viens de comprendre pourquoi l’ensemble Diabolus in musica s’appelle Diabolus in musica.
Il me reste une dernière interrogation : pourquoi ce Delacroix ? Est-il bleu ? Pourquoi n’ai-je pas vu ce bleu ? Est-ce un caprice de blogueuse, maîtresse sur son blog de mettre n’importe quoi
même si ça ne correspond pas au thème ? (j’humorise, bien sûr)
Oui, voilà, tout dépend de l’habillage du triton, par Bach, c’est très “haute couture” ! Par Syravinsky, c’est genre “déstructuré”, grunge ou… Tu vois, quoi !
Pour le Delacroix, c’est un peu facile (d’ailleurs j’ai voulu essayer de le coloriser en bleu… mais je n’y suis pas arrivée ) mais je parlais de Chopin et c’est une pianiste qu’a peint le
copain Delacroix ; alors, voilà. Un peu léger, j’avoue ! Mais je récuse le terme nimporte quoi : je préfère “capillotracté”. Tu es d’accord, Plof ?
Tout ces beaux bleus ! Tout plein de mélancolie, de la mazurka à Bessie Smith en passant ce tableau de Delacroix si gracieux et si vivant, et dans ton texte. Une halte bien agréable. Mais pas de
mélancolie pour moi dans cet éclatant contraste de bleu, de vert et de jaune de la villa Majorelle. J’ai eu envie d’aller voir d’autres photos de cet endroit sur Internet. Elles ne manquent pas
et conclusion : bravo à une certaine Clarisse Mèneret car, sincèrement, c’est l’une des meilleures sinon la meilleure photo de toutes celles que j’ai vues, la plus expressive.
Et j’aimerais bien savoir quel était cet accord du diable ? Un accord dissonant sans doute, mais lequel ?
Clarisse trouvera ici tes félicitations et elle les mérite ! Toute sa série de Majorelle est vraiment belle.
Pour l’accord du diable, c’est un triton, ou quarte augmentée (ou quinte diminuée) voilà ce que ça donne ! on en entend beaucoup dans le chant grégorien, puis chez
Bach, dans Stavinsky aussi, notamment L’Oiseau de feu… puis dans les klaxons et le heavy metal (que j’écoute peu !).
C’est assez passionnant l’histoire de cette quarte aug. Tu peux la faire sur ta guitare, Plof, ex : fa – si, do – fa et ré – sol et sur le piano aussi, bien sûr !