Photo de Une : Philippe Pelletier
Échine, le drôle de mot ! Pas très beau, peut-être à cause de machine et crachine.
Arthrose cervicale. Pas terrible non plus.
Station debout. Hier peut-être mais aujourd’hui, on se tasse, on se plie, on baisse la tête, on courbe l’échine. On prend à rebours l’histoire de l’évolution.
Retour à la case départ.
M’enfin comme dit notre ami Gaston ! Il faut faire quelque chose ! L’épidémie est gravissime !
Alors, est-ce que cela leur passera, cette fascination, à toutes celles et ceux qui ne savent plus marcher regard droit, mains dans les poches, ou être assis et regarder autour ce qui se passe même s’il ne se passe rien ? – ce qui est très rare.
Et que regardent-ils avec une telle fringale ? Des messages de la personne qu’ils viennent de quitter ou qu’ils vont voir dans cinq minutes ? Des petits pouces bleus en l’air (chic !), en bas (bouh !). Des photos désopilantes ? Des faits divers macabres ?
Arriveront-ils un jour à couper le cordon ? À être LIBRE ? À être seul librement ?
Moi-même, je lutte. J’oublie, quand je peux, l’objet de distraction massive à la maison. J’essaie d’être présente à ce qui m’entoure. Le monde est là.
Nous sommes atterrées, ma fille et moi, lors de nos balades (que j’écris souvent avec deux L) de voir les humains vissés à la chose tandis que l’animal en laisse se promène seul, sans son humain. Oh, il n’y aurait pas besoin de paroles, ils seraient seuls ensemble. Ils échangeraient par la pensée quand bon leur semblerait.
Et les enfants ? C’est, je crois, ce qui m’attriste le plus ! De voir ces petites mains tendues vers l’objet magique, les yeux exorbités, le souffle coupé. Extatique dans le sens étymologique : hors d’eux.
Et je ne parle pas des ego-portraits : c’est hilarant et navrant. Ce sera l’objet d’un autre billet.
Ne courbons pas l’échine ou alors juste sous les caresses.
J’aime le souvenir de ces époques nues,
Dont Phoebus se plaisait à dorer les statues.
Alors l’homme et la femme en leur agilité
Jouissaient sans mensonge et sans anxiété,
Et, le ciel amoureux leur caressant l’échine,
Exerçaient la santé de leur noble machine. […]
Charles Baudelaire – Les Fleurs du mal
La Saeta de Miles Davis pour son infinie solitude et pour le bruit de bottes sur le peuple asservi.