La première fois, comme en amour. Le souvenir de la première fois. Il y a l’avant, le pendant et l’après concert.
Mon premier quatuor, par exemple : Alban Berg. Chance insolente, non ? Une petite salle… Je me souviens de Schubert. J’ai oublié le reste du programme. Mais je ressens encore le choc, l’émotion, l’abasourdissement, la lévitation. L’étonnement du peu de bruit que cela fait, ces quatre instruments et cette densité pourtant. Au cordeau, les cordes. Je n’en suis pas revenue : c’était il y a plus de quarante ans.
D’abord, il y a le projet du concert. Parfois, on fait des centaines de kilomètres (voire des milliers, n’est-ce pas Laure Desadams ?) pour voir et entendre… Une Passion de Bach par exemple, à Rotterdam. D’autres fois, c’est la porte à côté mais on se prépare : c’est une cérémonie.
Il y a l’entrée dans la salle et le placement : pour un pianiste seul *, voir les mains sur le clavier bien sûr ! Il y a l’attente (comme le dit si bien Jean-René Palacio ci-dessous), le brouhaha dans la salle, les gens qui se saluent. Et puis, les lumières s’éteignent…
Nicolas de Staël Le grand concert 350 x 600 – 1955 – Le dernier tableau
Je suis chaque fois impressionné devant ce tableau. Pas seulement à cause de sa taille ou parce que j’aime la musique, mais parce qu’il me laisse toujours dans une humeur particulière. Aujourd’hui, je ressens l’attente. Je regarde ces partitions, ces instruments, et je me demande qui va dompter la bête… Jean-René Palacio
Selon le programme, on découvre, on reconnaît ou les deux. On devient un récepteur qui frissonne. Et voici le grand mot : PLAISIR. Au concert, on voit et on entend et si l’on est heureux tout en ressentant une profonde douleur, on pleure.
Je pense me souvenir de tous les concerts auxquels j’ai assisté. Certains m’ont bouleversée d’autres, bien sûr, m’ont moins touchée. J’ai des noms, des lieux, des ambiances… Le quatuor Via Nova à Saint-Émilion (Tu te souviens, Yō ?), Philippe Herreweghe – et tant d’autres – à Saintes, Jordi Savall à Bordeaux. Oh… et aussi Ivo Pogorelich tout jeune et si beau. Gundula Janowitz. Gidon Kremer.
Des débutants – à l’époque – magnifiques à Lacanau : Adam Laloum et François Salque… Et mes chouchoutes, le quatuor Akilone. Ils ont fait du chemin depuis !
Tout est bon : du récital au grand orchestre, du Moment musical intime à la Symphonie grandiose où le tutti du final soulève le public ! J’ai un faible pour toutes les percussions alors quand le timbalier a une belle partition, je me régale.
Et puis, c’est fini. Il y aura bien un bis ou deux. Mais il faut sortir de la salle et partir dans la nuit, tout empli et pourtant si léger ! Plein de joie. Je ne dis jamais rien, je prolonge.
* J’utilise le mot CONCERT mais je sais que si le musicien est seul en scène, c’est un récital. Concert voulant dire » se mettre d’accord » et pour ça, il faut être plusieurs. Mais parfois, on est d’accord avec soi-même. Bref, ici, le mot est employé pour toute forme de musique donnée en public à part l’opéra et les concerts de jazz dont je parlerai peut-être un jour.