Ne pas avoir peur de ces grands noms : il s’agit juste de quelqu’un de très intelligent parlant de musique et de beauté. Voici donc l’histoire :
Saint-Saëns a tenu hier au Conservatoire la partie de piano dans le Concerto de Mozart. À la sortie, on voyait beaucoup de gens déçus et qui, ne connaissant pas la raison de leur déception, l’attribuaient à des causes diverses : il a joué trop vite, il a joué trop sec, il avait mal choisi son morceau. Or, voici la raison : c’est que c’était vraiment beau. La vraie beauté est en effet la seule chose qui ne puisse répondre à l’attente d’une imagination romanesque. Toutes les autres choses ne sont pas inférieures à l’idée qu’elle s’en faisait : l’habilité l’émerveille, la vulgarité la flatte, la sensualité la grise, le cabotinage l’éblouit. Mais la beauté s’étant à l’origine des âges unie à la vérité par une amitié éternelle n’a point a sa disposition tous ces charmes. Quelles déceptions n’a-t-elle pas causées depuis qu’elle apparaît à la foule des hommes !
Longue citation mais je ne peux l’interrompre ; et pour lire le reste qui est du même tonneau, je vous renvoie au site où cet article de Proust figure (c’est le n°155 en fin de site, clic droit/ouvrir). http://www.theatreatoutprix.fr/Theatreatoutprix/Creations/Laboratoire/parole1-7.htm
Et de rejoindre presque honteusement l’auteur lorsqu’il avoue : « Comment, Le Philosophe de Rembrandt, ce n’est que cela ? »
Voilà pourquoi Saint-Saëns était parfait ce soir-là : Car son geste et sa voix sont si parfaitement décantés de toutes parcelles d’or ou de scories qui le troublaient, qu’il semble que c’est seulement l’eau claire, comme un vitrage qui laisse seulement voir l’objet naturel qui est au-delà. C’est à cette pureté, à cette transparence qu’est arrivé le jeu de Saint-Saëns.
Oui, la beauté parfois, ce n’est QUE cela ! L’ESSENTIEL, une paille !
P. S. : « Cette fois, c’est vraiment la fin » dit Saint-Saëns en mourant et ça n’est pas triste parce qu’il est vieux et que sa vie fut musicale de bout en bout.