Je lis beaucoup mais ces derniers temps, le mental mis à mal, j’étais surtout avec le genre polar que j’affectionne et qui n’est pas trop exigeant avec mon pauvre cerveau (quoique…). Et voilà que la pourvoyeuse de lectures m’envoie simultanément deux livres qui m’embarquent, chacun à leur façon, si différente et si forte.
Le premier est Trésor caché de Pascal Quignard. Je ne parlerai pas du récit ou juste pour dire que la vie de Louise bascule le jour où elle enterre son chat. Quel est ce trésor qu’elle trouve et qui va lui offrir provisoirement une vie de luxe ? Là n’est pas la question. C’est le pré-texte pour parler des trésors : pour Quignard, LE trésor de la vie est la musique. Puis viennent les rêves ceux qui font revenir les morts ; trésors aussi que les mots, ceux de Rainer Maria RILKE qu’il cite : Nous ne savons rien de ce départ qui ne partage rien avec nous. Nous n’avons pas de raison de vouer admiration, amour, haine à la mort.
Dans un entretien à la radio, Pascal Quignard dit encore : Le chagrin étrangement illumine le monde, le deuil y porte son ombre mais cette ombre souvent en augmente la beauté en même temps que la détresse. La mélancolie embellit le présent.
Combien cet écrivain qui jongle avec ces concepts infinis (Amour, Temps, Mort, Solitude) peut être aussi sensuel lorsqu’il évoque les parfums, les corps, les végétaux, l’eau et les bêtes ? C’est enivrant.
Ô bêtes qui avez si peu de museau,
deux narines fraîches et le corps le plus doux qui puisse se trouver dans cette contrée de la vie où je suis en train lentement de mourir,
nocturne, rêveur, pudique, vous dissimulez
jusqu’à l’urine sous le sable,
fraternels et pourtant indomesticables,
vous ne souffrez aucune définition. […]
Izmir aux capucines Photo Clarisse Méneret
Les deux auteurs ont au moins ceci en commun : leur amour des chats. Ils ont aussi une fascination pour la mort mais quel écrivain, artiste, être humain n’est-il pas soumis à LA question ?
L’autre livre, Et la mère pond vite un dernier œuf d’Hélène CIXOUS, est aussi traversé par la mort, morts morts, de morts inressuscitables, colériques, méchants comme le narrateur avec Albertine », ces onze textes font parler des « morts libres, pas morts, toujours prêts à dire oui à la vie, ma mère, le bien-aimé (DERRIDA), mes chats, ceux que la mort ne tue pas ». Elle joue avec la mémoire, avec les mots-plumes, elles se jouent d’eux, elles les fait jouer entre eux ou les uns contre les autres. Elle s’en sert, ne veut s’y soumettre et pourtant… Elle a des embardées d’écriture où s’entrechoquent l’Algérie et les c. c. (camp de concentration), les contes cruels d’Ève, la mère, et derrière tout ce voyage on entend les voix d’Homère, de Virgile, de Shakespeare, de Joyce, de Kafka, de Tsvetaïeva. Il y a du (beau) monde ! C’est savant mais ça rigole, ça cascade en tous temps et tous lieux. C’est douloureux et révolté, on est pris dans les plis de l’histoire et des mots.
Étrange livre. Ce midi, au milieu du chant du merle, j’entends à la radio mon cher Caetano Veloso chanter du fado : Estranha forma de vida. Et ça me saisit comme une évidence.
P.S. : je vais aller terminer Le Pouilleux Massacreur (Ian Manook)