29 février 1960. Période de Ramadan. Tard le soir. Sommes-nous encore debout, mon frère, ma sœur et moi ou bien nous a-t-on raconté ? Souvenir reconstruit : les lampes du plafond bougent légèrement et la vaisselle tinte…
Dès le lendemain, une grande agitation règne sur la base aérienne de Marrakech. Mes parents semblent inquiets et tristes. On nous explique : il y a eu un gros tremblement de terre à Agadir. Oui, c’est très grave, oui, il y a beaucoup de morts. Il faut chercher les survivants.
Et puis, des petits enfants vont arriver, pris en charge par quelques familles. On les apercevra. Dans ma tête, c’est un grand chambardement : qu’est-ce qu’un orphelin ? Où vont-ils aller ? Je ne me souviens plus du tout combien de temps ces enfants sont restés. J’ai aussi tout oublié de ce qui s’est passé par la suite.
On entend dire que les chiens arrivent à retrouver des survivants quelques jours après la catastrophe. Notre imagination est en surchauffe et les parents nous tiennent à l’écart des journaux. La télévision n’existe pas : tant mieux !
C’est que les langues vont bon train : tant de morts et le chergui (vent chaud) souffle. Les bêtes sauvages vont venir. Il va y avoir des épidémies. C’est un souvenir vif et une terreur a posteriori. Et pourtant, il y avait cette histoire merveilleuse d’une île née au large…
Paris-Match – Jack Garofalo
Et après, un grand blanc, un silence étrange : plus aucun souvenir. La censure travaille bien. Je dis être revenue à Agadir mais en fait pas du tout : la ville a été rasée et reconstruite à quelques kilomètres. C’est donc dans la réplique d’une ville morte que j’ai passé une nuit affreuse, dix ans après.
*
Des années plus tard, j’atterris pour la deuxième fois de ma vie à Narita, aéroport de Tokyo. Les amis sont venus me chercher. C’est une expédition : plus d’une heure de train + le métro pour regagner l’appartement. Comme la première fois, complètement estourbie par la folie de la ville.
On grignote et on se couche sur les quelques tatamis du foyer. Au milieu de la nuit, je ressens comme un vertige. Je me redresse et perçois un mouvement : tout bouge. Tout d’abord, je me dis que ma fatigue me joue des tours. Mes compagnons dorment profondément. Quelques secondes plus tard, deuxième secousse, très légère mais nette. Un tremblement de terre. J’ai un peu peur puis me rendors, terrassée par le jet-lag.
Le lendemain, je demande si personne n’a rien senti. Mes trois amis sourient et me disent : ” ah oui, peut-être, mais tu sais, ça tremble tout le temps ici ! ” Tomoko sourit devant mon étonnement. Cela ne figurera pas dans le journal !
Nous étions au mois de mars. Et c’était SAKURA. Je ne résiste pas au plaisir de vous proposer une photo de Philippe Pierre Pelletier. Elle ne date pas de cette époque mais je la trouve si belle ! Tout y frémit aussi.
Bien sûr : vignette musicale incontournable, la fin des Sept dernières paroles du Christ en croix de Joseph HAYDN, le terremoto.
Qui t’a inspirée ces tremblements ? Le froid de l’hiver qui nous transit et fait trembloter !
Oui, les parents ont reçu deux petits enfants… Impossible le soir venu de les faire rentrer dans la maison, alors Maman apportait couvertures et oreillers et sur le kikouyou (pelouse drue et douce) nous nous endormions avec eux sous les étoiles. Je me souviens des bruits d’avion faisant le pont aérien et heureux que ces enfants soient attendus par la famille en France. Je me souviens aussi de ton professeur de piano (Russe) au conservatoire de MRK. rescapé de ce terrible tremblement de terre à Agadir. Bien après , toi au Japon , nous à Taiwan nous avons combien de fois ressenti la terre en colère… Tant que les hommes ne respecteront et n’aimeront pas leur terre, elle se rebellera et nous donnera des signaux de détresse.
C’est l’éruption volcanique dans la petite île de Tonga qui a fait remonter ces évènements à la surface. Le fait que les rescapés aient TOUT perdu.
Tu vois, j’avais oublié les deux petits recueillis par les parents… C’est étrange.
Et tu fais ressurgir le souvenir de ce vieux monsieur russe que nous redoutions, au Conservatoire de Musique : nous chuchotions entre nous qu’il était méchant parce qu’il était devenu un peu fou après la catastrophe.
Tu sais, Nana, je crois que les tremblements de terre et les éruptions ne sont pas de notre fait : il y en a toujours eu. Mais la fréquence des typhons et autres catastrophes provoquées par le changement climatique, ça oui, nous en sommes responsables. Et il est bien tard… Tristesse.
Très beau texte une fois encore…j’ai gardé un souvenir très net des infos sur le tremblement de terre d’Agadir. On suivait les nouvelles à la radio, et comme tu dis la tv heureusement n’existait pas encore à la maison.
Je suis allée bien des années plus tard à Agadir, je suis allée sur la montagne où vivait l’ancienne ville pour voir le lever du soleil… inoubliable. Symbole de vie.
Quant au Japon, je rêve d’y aller un jour malgré les secousses, mais voir les cerisiers…. Ou les érables… mérite quelques sacrifices
Merci de ton écriture partagée.
Bonne journée
Pour avoir, lors de mes recherches, vu la presse de l’époque, j’ai découvert qu’effectivement l’évènement avait été très suivi. De nombreux français vivaient encore là-bas alors que le Maroc n’était plus un protectorat, ainsi que de nombreux juifs : ils étaient nombreux à Agadir. Toute cette côte était d’une intense beauté. Sans doute encore maintenant mais vraiment trop envahie et défigurée : le problème du tourisme de masse !
Je te souhaite d’aller au Japon ! Au printemps et/ou à l’automne. C’est indescriptible.
Merci à toi, Joëlle.
Oui, Chères Claire et Anne, tous ceux qui ont vécu de près ou de loin ce drame d’Agadir le portent en leur mémoire j’étais moi aussi de ceux là … propulsé parmi les équipages de la base de Marrakech arrivés les premiers porteurs de médicaments, vivres, couvertures etc. A l’arrivée, avant l’atterrissage, nos yeux se sont portés vers le grand hôtel « Saada », connu de tous, le long de la plage, il était totalement effondré sur lui-même !
Pour la suite, un vécu surréaliste où nous étions mus par le désir d’action et savoir, devant la détresse humaine mêlée de dignité, que nous n’ étions , en définitive, très peu de choses sur la terre en colère.
Mais oui, bien sûr, tu étais là, Chouchou ! Et tu as vécu cette catastrophe au plus près. Comme ça devait être effarant et triste, cette vision de destruction avec son cortège de souffrances ! Mais vous étiez là et vous aidiez ! J’imagine bien que l’on oublie pas.
Plein de tendresse de ta ” petite ” Claire.
Est-ce que j’ose dire, toutes catastrophes mises à part, que c’est une expérience merveilleuse, la terre qui s’ébroue et on perd pied ?
Oui, bien sûr, tu peux… Mais moi, j’ai trop peur pour être émerveillée. Je connais ton attirance pour les excès de Dame nature. Mais certains sont vraiment trop destructeurs.
Attirance… mais loin des éruptions, tremblements, inondations, incendies au coeur desquels on n’est rien.
Et aussi, belle photo de PPP où le chapeau dialogue avec la floraison. Souvenir d’Agadir, les photos du Paris Match de l’époque, je ne savais pas ce qu’était un séisme : stupeur.
Oui, j’adore cette photo ! Elle tempère par sa douceur la dureté du ” choc des photos ” !
Merci à vous deux pour le pétale qui manquait, joues rosies.
Double tremblement, la perte de son innocence au cœur d’un drame que les adultes cherchent à endiguer. Puis l’oubli, car ces souvenirs de mort ne sont que de leur âge…
Lame de fond.
Beau texte, merci pour les souvenirs miroir, l’image en sautoir.