Épreuve. Tout geste s’anticipe, se calcule, se réfléchit. C’est un corps carcan. Il abrite une âme énervée. C’est maintenant qu’on pense. On refait le film de la chute, on revoit les visages inquiets, on entend les “ça va, madame ?” Non, ça ne va pas, oui, ça va aller. Il faut trouver un refuge, un lieu où l’on pourra rassembler le tout.
Plus tard, radiographie : arrachement de l’os machin, entorse de truc. Des mots médicaux, certains assez jolis d’ailleurs, sur une douleur et sur le ridicule des béquilles que l’on ne sait manier. Après l’humiliation de la chute vient la honte de l’incompétence. Cumul.
Immobilité totale, dit la science. Combien de temps ? demande l’enfant en moi, voix chevrotante et pleine d’espoir. Minimum quarante jours répond la science, avec la botte de maintien, les bas de contention, les piqûres contre la phlébite… On n’entend pas la fin. On reste sur cette condamnation. On s’efforce de penser aux amis handicapés à vie. Ça ne console pas. Ils n’aimeraient pas ça. On liste tout ce qui sera impossible : nager, marcher, conduire, aller et venir à sa guise. On ne pense jamais combien on va et vient à sa guise. Et on sait qu’on n’obéira pas à toutes les injonctions.
Pourquoi n’a-t-on pas du tout envie de faire tout ce qu’on s’était promis de faire “le jour où…” : ranger les photos, trier les revues, lire le journal de sa mère, écrire la deuxième partie de…, pourquoi ?
Gentiment, les amis disent : lis, va au cinéma, écris. Oui, on va faire tout ça. Et déjà, on intègre l’immobilité dans la tête, rivée au calendrier. On s’installe dedans. On va jouer à être immobile. Et quand on bougera, ça aura une drôle d’allure.
Le Voyage immobile : Isabelle Courroy joue un instrument nommé kaval (!) et Shadi Fathi joue setar, darf et zarb.