La carpe et le lapin

Quand la bouffonnerie énigmatique de Michel Bouquet rencontre l’énigmatique bouffonnerie de Fabrice Luchini, ça donne du fortiche !

Des sourciers, voilà ce qui les caractérise, ces deux-là ; comment ils parlent des textes qu’ils servent, c’est une vraie magie : de La Fontaine et Céline à l’immense Molière en passant par Beckett. Un pur régal !

Évoquant leurs souvenirs d’Avignon en 1978, pour En attendant Godot :

[…] F. L. On lisait l’Apocalypse de Saint-Jean. On se parlait de tout, on était tout le temps ensemble, ce qui faisait dire à Georges Wilson que nous ressemblions à des séminaristes bizarres. […] Vous savez, les gens s’aiment quand ils ont le même rapport au texte. […]

À propos de ce certificat d’études dont ils sont tous les deux si fiers :

M. B. Je déteste l’intellectualisme. J’adore l’intelligence. L’intellectuel se sépare du monde. L’intelligence essaye de le comprendre.

F. L. : Exactement. Les intellectuels se séparent de la sensation. Jouvet disait « Il faut penser sa sensation. » Il faut cinquante ans pour comprendre l’horreur de cette phrase. C’est si difficile !

P-E-Rastoin-luchini-bouquet_112.jpgP. E. Rastoin pour l’Express

F. L. :  » Fabrice, n’oublie jamais qu’ils ne viennent pas te regarder jouer, mais jouer avec toi  me répétait Michel Bouquet…C’est le paradoxe de Diderot: seul émeut l’acteur quasi impassible, qui retient sa peine et ses larmes. Celui qui pleure fait au contraire sourire. »

 

Et de la même façon qu’ils sont grands dans leur métier de comédien, ils sont aussi d’immenses « écouteurs » ; ce que disait Bouquet sur Samson François, sur Furtwängler (qu’il a incarné sur scène), sur son amour de la musique dans une émission de radio était tout simplement magnifique ! Exemple :

M.B.  » Mozart, c’est la musique des sphères. Beethoven a un ego… Mozart n’a plus d’ego « 

P. S. 1 : Quel est le plus grand des musiciens ? demanda-t-on un jour à Rossini

– Beethoven ! répondit-il.
– Et Mozart, alors ? et il dit :
– Oh, lui, c’est l’unique.

P. S. 2 : le titre de ce billet est un clin d’œil : je pensais bien sûr à l’immense tendresse de F. Lucchini pour Jean La Fontaine

P.S. 3 : J’ai eu l’immense chance de les voir jouer : Michel Bouquet dans Fin de partie (Samuel Beckett + Rufus !) et Luchini dans La Société de chasse (Thomas Bernhard), je ne dis pas ça pour faire ma maligne mais pour insister sur le fait que j’ai éprouvé quels grands comédiens ils sont.

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