J’ai eu autrefois l’ambitieux projet – dans le cadre d’un mémoire de maîtrise de lettres – de comparer Caligula de Camus et Lorenzaccio de Musset. Cela n’a pas abouti pour cause… d’arrêt d’études ; un enfant s’annonçait. On choisit ses priorités. Aujourd’hui, Caligula revient en force.
Caligula veut la lune. Caligula ou la passion de l’impossible : vivre dans la vérité.
Je la lis et la relis, cette pièce : j’y vois la peur et la lâcheté des patriciens – qui font écho, aujourd’hui à de bien laides manœuvres – , j’y entends la pureté de Scipion, son empathie et peut-être sa fascination pour l’empereur.
LE JEUNE SCIPION
Comme je te plains et comme je te hais !
CALIGULA, avec colère
Tais-toi
LE JEUNE SCIPION
Et quelle immonde solitude doit être la tienne !
CALIGULA, éclatant, se jette sur lui et le prend au collet ; il le secoue
La solitude ! Tu la connais, toi, la solitude ? Celle des poètes et des impuissants. La solitude ? Mais laquelle ? Ah ! Tu ne sais pas que seul, on ne l’est jamais ! Et que partout le même poids d’avenir et de passé nous accompagne. […]
Le jeune Scipion passe derrière Caligula et s’approche, hésitant. Il tend une main vers Caligula et la pose sur son épaule. Caligula, sans se retourner, la couvre d’une des siennes.
LE JEUNE SCIPION
Tous les hommes ont une douceur dans la vie. Cela les aide à continuer. C’est vers elle qu’ils se retournent quand ils se sentent trop usés.
CALIGULA
C’est vrai, Scipion
LE JEUNE SCIPION
N’y a-t-il rien dans la tienne qui soit semblable, l’approche des larmes, un refuge silencieux ?
CALIGULA
Si, pourtant.
LE JEUNE SCIPION
Et quoi donc ?
CALIGULA, lentement
Le mépris
Caligula humilie, tue, se moque. Il pousse l’horreur, le scandaleux, la folie à ses limites extrêmes et en face… RIEN ! Des gens terrifiés, toujours dans l’attente tremblante de la prochaine extravagance de leur maître, lequel raisonne, les fait raisonner jusque ce que tout le monde convienne qu’il a raison.
Dans L’Arche n°10 d’octobre 1945, Jacques Lemarchand résume ainsi le raisonnement de Caligula : « Ce n’est que par le mensonge que l’homme arrive à croire à un bonheur possible. Or, il faut vivre dans la vérité. Et puisque j’en ai le pouvoir, je vais ramener l’homme à sa vérité, savoir : l’arbitraire, l’injustice et la mort. »
« Non, Caligula n’est pas mort. Il est là, et là. Il est en chacun de vous. Si le pouvoir vous était donné, si vous aviez du cœur, si vous aimiez la vie, vous le verriez se déchaîner, ce monstre ou cet ange que vous portez en vous. Notre époque meurt d’avoir cru aux valeurs et que les choses pouvaient être belles et cesser d’être absurdes. Adieu, je rentre dans l’histoire où me tiennent enfermé depuis si longtemps ceux qui craignent de trop aimer. » Épilogue de Camus pour sa pièce.
« Le monde de la tragédie, est toujours le monde antique , l’homme, la foule, les éléments, la femme, le destin. Il se réduit à deux personnages, le héros et son sens de la vie. »
André Malraux, Le Temps du mépris.
P.S. : Ce billet a été rédigé pendant l’entre deux tours des élections présidentielles.