En mars 2012 (quoi ? 4 ans déjà ?) j’écrivais un billet : INFOBÉSITÉ. Et tous ces derniers jours, je suis reprise par cette réflexion sur l’obsession de la vitesse et ses ravages parce que je vois bien – et le ressens moi-même – à quel point nous souffrons du manque de temps que nous générons nous-mêmes par boulimie, par peur de « rater » quelque chose, par cette folle idée toute-puissante d’être tout partout toujours, de tout savoir, de tout comprendre. Je vous redonne le billet de l’époque (entre les 2 /) revu et augmenté.
/[…] je suis assaillie par des phrases de Paul Virilio, urbaniste et philosophe, entendues il y a quelques mois… Et j’y pense parce qu’on a déjà jeté aux oubliettes Amina, la jeune femme suicidée du Maroc, obligée d’épouser son violeur. La frénésie de l’instant amène l’amnésie immédiate. On croit tout savoir et on ne comprend plus rien : on n’a pas le temps. Car on ne pense pas assez – et je mettais les étudiants en garde, vieille dinosaure dingo – que voir n’est pas savoir et savoir n’est pas comprendre.
Paul Virilio : La terre est réduite à l’instantanéité et à l’ubiquité, un temps réduit au présent.
[…] Dans l’accélération de l’information, il y a une perte. Quand on vous dit : « En deux minutes, dites-moi », à la télé ou ailleurs, ou « En 90 secondes, dites-moi, racontez-moi » ce que vous avez écrit pendant 20 ans, c’est une crise de la liberté d’expression, non pas formelle mais temporelle. C’est-à-dire que vous n’avez pas le temps de le dire. C’est pareil pour la crise des journaux papiers par rapport à la télé ou par rapport à Internet. Là encore, le temps réel est une tyrannie. L’immédiateté, l’ubiquité, l’instantanéité, c’est une tyrannie. On est renvoyé de la réflexion au réflexe, c’est-à-dire à une perte de la liberté de communiquer, liée simplement au temps, au tempo.
Longue citation mais chaque mot importe. En temps réel, je m’interroge toujours sur cette expression. Quel est le temps réel des femmes tunisiennes inquiètes pour leurs droits ? Amina, c’est sûr, a l’éternité devant elle.
Paul Virilio : Cybermonde, la politique du pire , entretien avec Philippe Petit, Textuel, 1996 /
Et aujourd’hui que nous avons oublié Amina, (La frénésie de l’instant amène l’amnésie immédiate) je rajoute ceci, toujours de l’architecte philosophe Paul VIRILIO : La menace, et c’est cela le grand renfermement, c’est d’avoir dans la tête une Terre réduite. Une Terre constamment survolée, traversée, violée dans sa grandeur nature et qui, par là même, me détruit, moi, l’homme-planète qui n’a plus conscience d’une étendue quelconque. Bien des astronautes qui ont tourné autour de la Terre en orbite ont éprouvé une sorte de vertige dans leur propre relation à eux-mêmes. La conquête de l’espace a été une expérimentation du délire de la perte de la Terre. Non pas de la fin de la Terre, mais de la perte mentale…
Soumis à une propagande du progrès qui n’est que technique et dont la vitesse et la complexité ne cessent de s’accroître, nous nous infligeons un douloureux vertige.
Et Virilio conclut « La mesure est dans mon âme ».