[…] Et au fur et à mesure que l’histoire se déroule, le dessin de la toile se précise et s’ordonne selon ses propres lois internes. La substance de ce dessin ténu et complexe est une prose poétique la plus exigeante, la plus riche, le plus contrôlée et la plus évocatrice qui soit. Et je ne peux m’empêcher d’évoquer d’autres potions enivrantes que les maîtres de la réalité nous ont servies dans le passé, le Gaspard de la nuit de Ravel, par exemple, les silhouettes éblouies de soleil de Seurat, les envolées dans le pur espace de Pythagore, la bien-aimée Bible d’Amiens, la mosquée de Cordoue aujourd’hui profanée… […] Préface de H. Miller pour Justine de L. Durrell
Voilà : ces deux là s’aimaient, se comprenaient, se respectaient, s’admiraient. Quarante-cinq années d’une correspondance quasi ininterrompue ! Franchise et amitié.
Ils nous donnent une formidable leçon de vie et, au bout du compte, une intense réflexion sur l’écriture, qualité littéraire en prime . Nous traversons des villes, des continents, des coins de terre dont ils nous donnent la lumière ou au contraire, les grisailles sans fin. Ils nous donnent encore leurs ressentis de l’Histoire qui – de 1935 à 1980 – fut plutôt intense et agitée. Quand Miller dit à Durrell qu’il faudrait absolument que Hitler rigole un peu plus et soit moins « sérieux »… on reste songeur, mais c’est drôle. Quand Durrell expose son admiration pour Stendhal, c’est en quelques mots précis et intelligents. Ils se voient peu mais sont ensemble par l’esprit, c’est net ; même lorsqu’ils ne sont pas d’accord, ils échangent.
Dialogue donc, d’une remarquable densité où l’on croise J. Cowper Powys (dont j’ai déjà parlé), Dylan Thomas, Céline et Cendrars… où l’on partage l’immense passion de Miller pour Rimbaud, où l’on assiste à la gestation et l’accouchement du Quatuor d’Alexandrie.
Vraiment, c’est passionnant, vif et allègre. C’est à lire, à relire !