Contre la littérature qui répare (billet polémique)

Pietro Antonio Rotari jeune femme au livre
La littérature doit-elle réparer ?

Les livres de deuils – je sais de quoi je parle – réparent-ils ? Ils réparent ceux qui les écrivent, peut-être, pas sûr… mais ceux qui les lisent ? Et si oui, pourquoi ? Mais surtout est-ce de la littérature ?
La littérature doit-elle être UTILE ? Irait-on puiser dans les mots l’outil du maçon ou du charpentier, truelle ou marteau ? Martin Wrinkler cité par Alexandre Gefen dit que les écrivains sont devenus les médecins de campagne. C’est vrai qu’il n’y a plus personne à l’église, que les idéologies politiques et les syndicats ne font plus florès. Alors que reste-t-il, si l’on cherche une utilité à la littérature puisqu’il n’y a plus de cadre spirituel pour penser la mort ?
Alexandre Gefen publie Réparer le monde. La littérature française face au XXIe siècle aux éditions José Corti, où l’on entend dès le sous-titre que les écrivains ne peuvent plus s’abstraire de l’état du monde, qu’ils ne sont plus autonomes, mais bien confrontés à leur temps. La relation à l’autre, à la mémoire, au passé, travaille jusqu’à l’hystérie la littérature française du XXIe siècle. Même la plus exigeante serait innervée par la culture du care et du développement personnel. Site France-Culture 29/11/17 La Grande Table

Je déteste les mots « évasion », « réparation » lorsqu’il s’agit de littérature. Je pense exactement le contraire : être là, avoir mal éventuellement, mais jouir d’un langage qui fait mouche, précis et large, d’une invention ou d’une réalité qui vous prennent au col. Être dérangé, bousculé, malmené, rire, pleurer, mais que ça bouge, nom d’un p’tit bonhomme ! Qu’on ne nous anesthésie pas ! Que l’écrivain ne mette pas de baumes sur nos plaies. Ce n’est pas son boulot !
Les auteurs contemporains ont des ambitions délirantes, et expriment des formes d’empathie et des rêves de guérison qui sont tout à fait étonnants. Alexandre Gefen

Les mots qui guérissent

Je n’avais pas lu Réparer les vivants de Maylis de Kerangal. Le titre m’avait fait peur. C’était bête. De ce grand écrivain, je lis Naissance d’un pont (Merci immense, Martin). Je suis émerveillée d’autant que je viens de traverser une période où tout me tombait des mains. Je comprends que lire ne répare pas mais fait grandir ou plutôt vous rend grand, que la beauté – qui est parfois si triste et dure – vous cloue. C’est ça la littérature, c’est côtoyer la beauté d’une expression, d’une urgence. Ce qui émeut, c’est l’accès à un monde plein et vivant, fait de mots bien jointés. Et ça, je peux vous dire que ce n’est pas au rayon Bien-être des librairies que vous le trouverez.

Je parle de tout ça avec une amie si proche (et loin géographiquement) et nous nous disons en riant : nous sommes irréparables. Richter et Brahms nous posent des questions. Ils n’y répondent pas. Nous non plus d’ailleurs. Il en va de même avec la littérature.

 

 

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