Dernières nouvelles du cosmos. Quelle beau titre ! Tellement juste à cause de cette place où Hélène, alias Babouillec SP (pour sans parole) – c’est ainsi qu’elle se nomme – se trouve peut-être, ce lieu où elle nous emmène, nous transporte.
Vu deux films le même jour, Dernières nouvelles du cosmos et Le procès de Viviane Amsalem de et avec Ronit Elkabetz. Si j’en parle, c’est qu’ils ont un point commun et un seul : une caméra qui fouaille les visages. Mais ça s’arrête là. Pour le premier, la caméra est comme fascinée par ce visage sans âge, cette bouille de puer aeternus, comme si elle pouvait, en se soudant à lui, pénétrer à l’intérieur du “cornichon de cerveau” selon les mots d’Hélène.
«Je suis Babouillec très déclarée sans parole. Seule enfermée dans l’alcôve systémique, nourricière souterraine de la lassitude du silence, j’ai cassé les limites muettes et mon cerveau a décodé votre parole symbolique : l’écriture.
L’amie et moi sommes sorties de là abasourdies. Stupéfaites par un bouillonnement de questions, par ces mots extraordinaires, par ce visage où l’enfance rit en pleurs… un visage si mystérieux sur lequel les émotions apparaissent parfois, sans que l’on soit sûr qu’elles correspondent aux nôtres.
Diagnostiquée autiste, Hélène sort d’institution à 14 ans. Sa mère et elle vont créer une relation qui n’est pas donnée, qui ne va pas de soi : Hélène ne s’exprime pas. On croit qu’elle n’habite pas son corps. On ne sait pas où elle habite. Puis, sa mère comprend qu’il faut tenter de trouver des outils pour communiquer avec sa fille. Et en choisissant des lettres en carton rangées par ordre alphabétique dans une boîte, Hélène qui ne savait ni lire ni écrire va faire des phrases et quelles phrases ! Oui, nous sommes sidérées.
Si ma capacité à admettre la différence est bonne – du moins, je le crois – je suis effarée par l’arrivée de ses mots : d’où viennent-ils et d’où viennent ces agencements poétiques et si profonds ? On est ailleurs, dans un au delà du langage.
C’est un enfant qui prend le jour pour en faire sa cabane de feuillage. Il arrive à l’horizon de la mémoire sans aucun bruit sans aucune page. Il n’a rien à nous dire. Il est la Présence même. Il éclate de tous les rires de la terre. C’est un enfant pareil à la mer et pourtant c’est un enfant soleil. Il fait chanter toutes les colombes. Il adoucit les serpents du rouge vif. Il boit la rage et donne le rêve. Un jour nous le rencontrerons. Entre deux portes coquille de l’instant. Il arrêtera notre visage. Il prolongera notre regard dans la surprise du torrent. Nous prendrons le temps du partage. C’est un enfant qui arrondit l’espoir pour le faire rouler et bleuir le monde. Il est la femme et il est l’homme entrelacés. Hélice de toute vie. Avec lui nous devenons plus humains. Avec lui fulgurante l’existence est royauté.
C’est René Barbier, psycho-pédagogue jungien qui écrit ces mots sur l’enfant éternel et cette enfant, c’est Babouillec !
Film de Julie Bertucelli, 2016
Et voilà! Tu disais pourtant que tu n’arriverais pas à mettre les mots… Ils sont là et ceux de René Barbier si justement choisis pour illustrer ce mystère. Avec Hélène, “nous devenons plus humains” et je crois que c’est ce que lui dit Pierre Meunier le metteur en scène de la pièce Algorithme éponyme tirée des écrits d’Hélène.
Mais oui, c’est vrai ! J’avais oublié ces mots essentiels que P. Meunier lui dit. Mais tant à dire, n’est-ce pas ? Devant un tel mystère, cette humaine que l’on ne peut ranger dans aucune case ? Est-il souhaitable, comme le suggère sa mère, qu’elle accède à la parole ?
Le mystère ‘Hélène était encore plus mystérieux avant sa parole écrite, était il souhaitable qu’elle accède à l’écriture?
La maman d’ Hélène
Je suis émue de recevoir votre message. Je me suis aussi posé la question. Je me permets d’échanger avec vous par courriel. Une impression de malaise : avons-nous été voyeurs ? Comment Hélène vit-elle cette exposition ? Que de questions ! Cordialement à vous.
J’avais vu La Cour de Babel de la même réalisatrice, Julie Bertuccelli. Un document très fort aussi, à propos de l’intégration d’enfants venant de tous horizons grâce à une prof géniale et humaine…
Julie Bertucelli donne donc à voir des gens magnifiques ; par ses images, elle leur donne une voix. Et moi, j’ai oublié de te remercier : c’est grâce à toi que je l’ai rencontrée. Gratitude.
Belle nouvelle (je ne sais pas quel terme employer pour un “article” dans un blog) et vraiment magnifique texte final.
Je crois qu’on peut dire article… Ce film est bouleversant du début à la fin et Hélène reste un mystère. J’ai eu beaucoup de chance de trouver le texte de Barbier, même si je le connais un peu. Mais là, plaf, il est dans le sujet !
Je crois que j’ai retrouvé le terme, c’est “billet”, enfin je peux me tromper.
Mais c’est vrai ! Rhhhhôôôô, j’avais oublié : la blagueuse blogueuse ne connaît même pas le terme approprié ! Merci pour le rappel.